Vers une production locale durable
Entre freins et opportunités, la production locale martiniquaise reste un élément clé pour la structuration de l’économie. Entretien avec Jean-Rémi Duprat, directeur de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DAAF).
Pouvez-vous nous donner un aperçu de l’état actuel de la production locale en Martinique ?
Jean-Rémi Duprat : En Martinique, la production agricole et industrielle locale reste fragile. Avec 2 679 exploitations agricoles en 2020, nous notons une baisse de 19 % par rapport à 2010, accompagnée d’une réduction de la surface agricole utile (SAU) de 12 %. La population agricole vieillit également, 30 % des exploitants ayant plus de 60 ans. En termes d’industries agroalimentaires, 200 entreprises emploient 2 400 salariés, représentant 24 % de l’emploi manufacturier régional, pour un chiffre d’affaires de 440,8 millions d’euros. Malgré ces derniers chiffres encourageants, la production agricole locale ne répond qu’à 20 % des besoins alimentaires de l’île.
Quelles filières se développent et quelles initiatives soutiennent cette croissance ?
La production de rhum AOP et d’œufs progresse notablement : la production d’œufs couvre aujourd’hui près de 100 % des besoins locaux, tandis que le rhum, avec 80 millions d’euros en 2021, constitue la deuxième exportation de la Martinique après les produits pétroliers. Les filières de volaille et d’œufs bénéficient d’une organisation collective solide, répondant ainsi aux attentes des consommateurs pour des produits locaux. De plus, des filières de niche, comme le cacao et le café, sont également en pleine expansion. Leur développement est soutenu par des aides Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI), qui allouent des financements spécifiques pour chaque tonne produite, et des aides en fonction de la surface agricole utilisée.
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Quels freins empêchent encore le développement d’une production locale plus robuste ?
L’accès au foncier agricole reste un obstacle majeur. Bien que des terres en friche aient été recensées sur des communes telles que Morne-Rouge et Rivière-Salée, leur remise en exploitation est lente. Le nombre d’agriculteurs a également drastiquement chuté, pour atteindre 2 400 aujourd’hui, un tiers de ce qu’il était il y a 20 ans. Cette tendance s’explique par le vieillissement des exploitants et des coûts de production élevés, aggravés par les aléas climatiques et des pressions sanitaires. Le coût des intrants agricoles, dépendant des fluctuations mondiales, ajoute un poids significatif, rendant la production à grande échelle difficilement rentable.
Quelles actions menez-vous en collaboration avec les collectivités pour stimuler la production locale ?
Nous avons, par exemple, mis en place une procédure de remise en valeur des terres en friche, en collaboration avec la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) et la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER). Ce projet concerne des terres identifiées comme sous-exploitées ou en friche dans trois communes, et vise à faciliter leur réattribution aux jeunes agriculteurs. L’État soutient aussi financièrement ces initiatives : en 2023, 125 millions d’euros ont été investis pour les filières locales. Le POSEI alloue également des fonds pour compenser les coûts d’importation des intrants et assurer une plus grande compétitivité des produits locaux.
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Existe-t-il des initiatives exemplaires en Martinique qui pourraient servir de modèle ?
La filière bovine en Martinique, bien qu’en perte de vitesse, fait preuve de résilience. Grâce à la coopérative Comité départemental de l’exploitation martiniquaise (CODEM), de nouveaux projets voient le jour, comme la création d’une association foncière pastorale et d’un groupement d’employeurs. L’objectif est de faciliter l’accès aux terres pour le pâturage et de sécuriser les emplois grâce à une mutualisation des ressources. Cette organisation apporte flexibilité et stabilité pour les exploitants et les employés agricoles. Ces initiatives, ainsi que les Projets alimentaires territoriaux, comme celui de Ducos, visent à reconnecter les producteurs avec le marché local, en particulier dans les écoles, pour renforcer la consommation de produits locaux et sensibiliser les jeunes sur le sujet.
DAAF Martinique
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