De la reterritorialisation à la relocalisation des filières dans les Outre-mer
Dans toutes les régions du monde, soutenir les filières locales agricoles et d’élevage est devenu vital. Peut-être parce que leurs subsistances n’ont jamais eu autant d’incidences sur le confort de nos quotidiens. Alors, on le répète haut et fort : que voulons-nous et que sommes-nous prêts à faire pour changer ?
Il a fallu vivre et observer la ruée apocalyptique de tous nos caddies vers les grandes surfaces pour nous rendre compte de la ténacité de nos habitudes alimentaires. Nous ne consommons plus rien que nous sachions faire pousser nous-mêmes et sans les filières de nos régions, plus d’approvisionnement dans les rayons et plus d’ingrédients dans nos assiettes.
La crise géo-sanitaire fait peser au-dessus de nous une drôle d’épée de Damoclès. L’heure est aux constats. Et il est temps de faire des choix à la hauteur des enjeux qui sont les nôtres. Et pour cela, la première question à se poser est assez simple : Que voulons-nous ?
Et si on court-circuitait tout ?
Des avocats du Pérou, des choux de Belgique, des grenades d’Espagne ou encore des tomates de République Dominicaine… alors que nous produisons toutes ces richesses chez nous. Comment expliquer le choix de l’extérieur au détriment de nos agriculteurs locaux d’Outre-mer ?
Allez venez, on fait un exercice ensemble. On se met devant l’étalage d’un supermarché et on observe l’écriteau au-dessus des cagettes.
Entre l’ananas du Costa Rica et un ananas bouteille des Antilles, lequel choisissez-vous ? La réponse est simple : le bouteille ! Si je rajoute une variable : le prix. L’ananas du Costa Rica coûte 1,40 € le kilo, l’antillais coûte 2,30 € le kilo. Et maintenant, lequel allez-vous mettre dans votre panier ? Avouez que vous êtes tentés de partir sur le choix le plus économique à votre échelle et donc le moins cher.
Mais que veut dire “moins cher” ? Et comment expliquer qu’un ananas qui est produit à 2400 kilomètres de chez nous coûte moins cher qu’un ananas local ?
La réalité n’est évidemment pas simple. Elle repose sur de nombreuses variables propres à la mondialisation qui prennent en compte le système de l’offre et de la demande, qui repose lui-même sur la délocalisation des systèmes de production où la main d’œuvre coûte moins cher et où le volume de production est plus important.
En d’autres termes, cela signifie que votre ananas du Costa Rica est produit par un agriculteur qui est moins bien rémunéré, que le champ d’où est extrait votre fruit est soumis à une agriculture intensive et en monoculture pour pouvoir produire vite et en grandes quantités.
Avec cela, on gagne les quelques centimes de différence qui font du bien, car il faut dire que jusqu’à présent, au moment du paiement, c’est ce qui faisait la différence.
L’impact de notre consommation mondialisée
Mais à l’heure du confinement, lorsque l’on prend conscience que le système repose en majorité sur notre dépendance à l’extérieur ; lorsque l’agriculteur de ces terres plus lointaines est contraint de rester, lui aussi, chez lui ; que la ronde des containers et que la chaîne de distribution s’enraye et que nos filières locales nous disent “on vous l’avait dit”, on se regarde en chien de faïence et on espère que l’orage passe.
Alors oui, on pourrait se dire : “c’est pas grave, la crise du covid-19 est bientôt derrière nous” ; la vérité est loin d’être aussi évidente et ceux qui le pensent pourraient tomber de haut en regardant les indicateurs financiers internationaux.
Les impensés économiques qui se préparent, entament déjà une réaction en chaîne qui risque d’avoir des conséquences énormes sur les marchés économiques mondiaux.
Le commerce international bat de l’aile, l’import et l’export n’ont jamais été aussi faibles et on le sent, en tant que consommateur, dans les rayons de supérette, car ce sont bien des fruits et légumes de provenance locale qui sont inscrits en haut à la craie blanche sur nos écriteaux.
Alors comment expliquer qu’on en soit arrivé là ? Vouloir des prix toujours plus bas a un coût plus important que l’on pense. Demandons-nous toujours comment un produit fait là-bas peut coûter moins cher que celui qui se fait en bas de chez nous.
Nous sommes, en tant que consommateurs, aussi responsables que la grande distribution qui fait sa loi.
Et puis, ce n’est pas tout : en plus d’exploiter des individus de l’autre côté des frontières, l’agriculture intensive appauvrit les terres, les assèche, dans certains cas, les pollue et dans la majorité des autres, elle fait main basse sur la qualité des produits, cueillis bien trop tôt.
Sur le plan environnemental, le transport de ces marchandises augmente notre empreinte carbone, responsable à 25% des émissions à effet de serre dans l’atmosphère. Pour rappel, le rapport annuel de la Banque de France, publié le 10 mars 2020, déclarait que les émissions de CO2 sont devenues la principale cible dans les accords environnementaux pour lutter contre le réchauffement climatique.
Donc, en plus de polluer la planète, nous mangeons, certes moins cher, mais moins bien. D’où les questions du début : que voulons-nous et que sommes-nous prêts à faire pour faire évoluer nos habitudes alimentaires ?
La solution fonctionne aussi de la même manière, c’est une réaction en chaîne. Si, en tant que consommateur :
- nous faisons le choix de manger local
- …alors nous favorisons l’écoulement des stocks
- …nous participons également au développement de nos filières
- …et soutenons le bien-vivre des énergies qui se lèvent tous les jours à côté de chez nous
Nous réparons quelque part un système mondial fragilisé par la course au toujours plus vite et toujours moins cher.
Nous créons les conditions pour le renforcement des infrastructures ici et rétablissons une équité entre les producteurs. Nous nous donnons, nous-mêmes, les moyens d’être résilients en temps de crise et performants tout le temps.
Relocalisation en cours
Une étude menée par AgileBuyer, relayée mercredi 6 mai dans Les Echos, estimait qu’un quart des entreprises françaises envisageait de relocaliser une partie de ses achats en France ou en Europe. Ce n’est pas étonnant et c’est apparemment un mouvement de fond qui aurait débuté avant même la crise.
L’observatoire international de l’Université de L’Aquila montre que la démondialisation a bien commencé avant l’arrivée de l’épidémie. C’est donc une tendance qui tendrait à augmenter.
Mais on vous entend déjà, ceux qui voudraient se décharger et qui crient aux faiblesses des pouvoirs politiques, qu’il s’agisse de l’Etat ou de nos collectivités. On vous rassure, le vent tourne et ce qui semblait hier inatteignable est aujourd’hui une nécessité que tous, par souci de stabilité, viendront encourager.
Néanmoins et parce que l’administration plaide en général le temps long, prenons le vent en poupe et engouffrons-nous dans l’action générale. Soyons acteurs et si nous ne sommes pas très visibles sur la carte, rendons-nous visibles à notre échelle. C’est le moment ou jamais.
La bonne nouvelle, c’est que nous avons plein d’initiatives positives au service de l’impact qui œuvrent déjà à l’anti-fragilité et à la résilience de nos territoires.
Ouvrez l’œil et allez faire un tour du côté de la filière Valcaco en Martinique où Kora Bernabé et son équipe sont à pied d’œuvre pour restructurer la filière cacao.
Regarder l’Interprofession de l’Elevage et Viandes de Guyane qui travaille au quotidien avec les acteurs des filières animales de Guyane pour promouvoir et développer la consommation locale.
Allez sonner à la porte de l’interprofession guadeloupéenne de la viande et de l’élevage porté par Gérard Blombou, demandez-leur les certifications qu’ils accumulent pour pouvoir produire dans les meilleures conditions.
Allez du côté de l’Iguaflhor qui regroupe tous les acteurs, du producteur à l’agro-transformateur, et prenez le temps de les interroger sur l’autosuffisance possible en Outre-mer.
Et puis, il y a encore les MPI et nos industries qui se mobilisent pour faire front ensemble, main dans la main, pour qu’un jour, à notre échelle, le circuit court ne soit pas qu’un mot-clef à accrocher pour répondre à la tendance, mais bien la clef pour répondre efficacement à l’urgence.