Quand l’économie change de couleur
Face à l’urgence climatique, la transition écologique s’impose comme un tournant incontournable. Aux Antilles-Guyane, cette transformation prend une résonance particulière.
Quand l’économie change de couleur
Face à l’urgence climatique, la transition écologique s’impose comme un tournant incontournable. Aux Antilles-Guyane, cette transformation prend une résonance particulière.
Le rapport du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat crée en 1988) est sans appel : l’urgence climatique impose de repenser notre modèle de croissance pour le rendre compatible avec les impératifs écologiques. Longtemps perçus comme l’apanage des acteurs de l’économie verte, ces enjeux irriguent aujourd’hui tous les secteurs d’activité, notamment via la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). En effet, beaucoup d’entreprises s’engageant dans une démarche RSE cherchent à allier engagement social et environnemental tout en restant économiquement viables.
Dans ce contexte, des questions centrales se posent : qui sont les acteurs qui façonnent cette nouvelle dynamique et quelles compétences sont aujourd’hui essentielles pour accompagner cette mutation ? La transition écologique ne se limite plus aux experts en environnement, elle mobilise désormais une diversité de profils, allant des ingénieurs aux économistes, en passant par les urbanistes, les juristes ou encore les communicants. Les entreprises, les structures institutionnelles, les collectivités et les associations recherchent de plus en plus des professionnels capables d’intégrer les enjeux environnementaux dans leur stratégie et leur développement.
En témoigne l’essor des formations en écologie dédiées à l’environnement et à la biodiversité sur le territoire national tout comme aux Antilles-Guyane. Quelles sont ces filières ? Quelles opportunités offrent-elles ? Qui est la nouvelle génération de diplômés d’aujourd’hui et de demain ?
Antilles-Guyane : l’écologie au cœur d’une transformation locale
Face aux bouleversements environnementaux propres à nos territoires, l’économie verte s’affiche comme une nécessité. Formations spécialisées, collaborations et recherches scientifiques… autant d’évolutions encourageantes pour concilier développement et préservation des écosystèmes.
Biodiversité menacée, vulnérabilité face au changement climatique, pollution de l’eau, déforestation, recul du trait de côte, invasion de sargasses, gestion des ressources… Les Antilles et la Guyane sont confrontées à des défis environnementaux majeurs. Pour y faire face, l’économie verte se développe et prend une place croissante, portée par des politiques publiques et des initiatives privées visant à concilier le développement économique et la protection de l’environnement.
Ce virage, qui ne date pas d’hier, s’accompagne d’un besoin accru en compétences adaptées aux réalités du territoire. Ces dernières années, de plus en plus d’étudiants se spécialisent sur place et acquièrent une expertise directement liée aux écosystèmes tropicaux. Ces jeunes s’insèrent ensuite localement dans le tissu économique auprès de structures en demande constante : institutions, collectivités, bureaux d’étude, associations ou encore entreprises engagées dans la gestion de l’environnement et de la biodiversité.
Même si elle gagnerait à être davantage développée et soutenue, notamment pour gagner en personnel enseignant-chercheur, la filière universitaire en écologie de l’université des Antilles et l’université de la Guyane se défend bien et attire chaque année des étudiants locaux, métropolitains, mais aussi internationaux.
Premiers liens avec le monde professionnel
Ces jeunes hommes et jeunes femmes inscrits sur le pôle Martinique de l’université des Antilles (UA), pour le parcours écologie/environnement (EE) (proposé depuis deux ans dans le cadre de la licence Sciences de la vie et de la terre (SVT)), sont représentatifs d’une génération d’étudiants déjà sensibilisés aux problématiques locales. Passionnés par la nature et les sciences du vivant, ils ne se contentent pas d’un apprentissage académique et généraliste : ils s’investissent sur le terrain dès leur première année.
« Nos étudiants sont tous très engagés », se réjouit Olivia Urity, responsable du parcours EE de la licence SVT en Martinique. « Dès le début de leur cursus, ils participent à des projets en lien avec des structures partenaires comme l’Office de l’eau, l’ONF (Office nationale des forêts) ou le Parc naturel. Nous avons mis en place une véritable pédagogie de préprofessionnalisation grâce à des intervenants variés : enseignants-chercheurs, professionnels de terrain, directeurs de bureaux d’étude, etc. C’est primordial que nos programmes soient totalement connectés aux besoins du territoire. »
Études des tortues marines, suivi des écosystèmes littoraux, recensement des iguanes sur site, « ces expériences permettent aux jeunes d’être rapidement opérationnels, d’acquérir des compétences recherchées par les acteurs du territoire et surtout de tisser les premiers liens avec le monde professionnel », poursuit l’enseignante.
Volonté de faire bouger les lignes
Dans le domaine de l’écologie et de l’environnement, le pôle Guadeloupe de l’UA offre une formation plus complète et de plus longue date, avec une licence SVT proposant trois parcours (Écologie, environnement, géosciences), ainsi qu’un master BEE (Biodiversité écologie évolution) également décliné en trois spécialités, Écologie marine (EMT), Gestion de la biodiversité tropicale (GBT) et Écologie forestière (EFT, co-accrédité avec l’université de Guyane) et partenaire du programme international Tropimundo dédié à l’écologie et la biodiversité tropicale.
« Pour le parcours de master Gestion de la biodiversité tropicale, nous avons voulu nous rapprocher du tissu professionnel », précise Dr Etienne Bezault, maître de conférence, responsable de la licence SVT et du parcours Tropimundo du master BEE en Guadeloupe.
L’axe est porté sur des sujets plus généralistes en lien avec l’étude et la gestion concrète en biodiversité et en écologie. « L’objectif est de favoriser l’accès à l’emploi, notamment pour des postes très demandés, niveau master ou doctorat, comme cadre et chargé de mission, en bureau d’études ou en gestion de l’environnement au sein des nombreux gestionnaires du territoire comme le Parc national, l’ONF, l’OFB (Office français de la biodiversité), l’ARBig (Agence régionale de biodiversité des Îles de Guadeloupe), etc. », décrit Dr Etienne Bezault.
L’important étant l’existence de partenariats et liens renforcés avec la dynamique locale. Différents experts sont sollicités pour intervenir auprès des étudiants, comme des ingénieurs et chercheurs (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), Institut Pasteur…) spécialistes des écosystèmes, de faune et flore, de géosciences, de volcanologie, etc. « Des instituts de recherches et des gestionnaires de l’environnement tels que l’OFB et le Parc national sont impliqués, soit par l’accueil de stagiaires ou via des collaborations plus directes dans des projets de recherche », poursuit l’enseignant-chercheur.
Partenaires moteurs et dynamiques
Outre les structures institutionnelles et les bureaux d’études, ces écologues diplômés peuvent aussi intégrer des associations et ONG ou opter pour l’indépendance et monter leur propre structure. « Certains font le choix, souvent pertinent, de l’entrepreneuriat », souligne Dr Etienne Bezault. « Ils se spécialisent et peuvent proposer leur expertise aux entreprises et/ou collectivités comme des études d’impact, des suivis ou de l’apport de données scientifiques. »
De plus l’université des Antilles, grâce à son école doctorale Dynamique des environnements dans l’espace Caraïbes-Amériques, permet la poursuite d’études jusqu’au doctorat, pour la formation par la recherche au plus haut niveau universitaire, également dans le domaine de l’écologie.
En Guyane, où l’université est bien plus jeune (2015), la licence professionnelle des métiers des ressources naturelles et de la forêt est « actuellement la formation à bac +3 qui prépare le mieux, en local, aux métiers de l’environnement, de l’exploitation du sous-sol et plus généralement, aux problématiques géo-environnementales », selon Dr Arnauld Heuret (enseignant-chercheur en géologie à l’université de Guyane et responsable de la licence).
« Il y a quelques années encore, ces compétences n’étaient pas accessibles aux Guyanais sur leur territoire. Il est donc essentiel de leur offrir la possibilité de se former localement aux métiers liés à la filière minière et de créer des passerelles avec l’une des industries présentes en Guyane. Il s’agit aussi de développer une expertise locale en géosciences afin de soutenir le développement du territoire et d’améliorer la gestion de l’environnement. »
La majorité des intervenants est issue du monde professionnel et les stages et l’alternance font partie du cursus. « Nous avons plusieurs partenaires très moteurs et dynamiques : la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), la Communauté de communes de l’ouest guyanais (CCOG), la Communauté d’agglomération du centre littoral (CACL), le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), la Direction générale des territoires et de la mer (DGTM) et l’Office de l’eau de Guyane », poursuit Dr Arnauld Heuret. « Même si nous formons globalement trop peu d’étudiants par rapport aux besoins, il y a une très bonne collaboration avec les partenaires et une belle dynamique d’embauches à la clé. »
Très souvent, aux Antilles comme en Guyane, cette génération engagée ne se limite pas aux études. Elle rejoint ou s’organise en association pour agir en faveur de l’environnement. Une mobilisation qui témoigne d’une prise de conscience et d’une volonté de faire bouger les lignes.
En conclusion, la filière universitaire Antilles-Guyane en écologie, environnement et géosciences permet, grâce à son adossement à des structures de recherche de niveau international et ses liens directs avec les acteurs du territoire, de former des jeunes à tous les niveaux, licence master et doctorat, qui montrent leur capacité de s’insérer avec succès et de manière très diverse dans nos socio-écosystèmes. Elle mérite donc l’intérêt de nos jeunes et un soutien accru de ses instances et partenaires, pour son développement au profit de l’économie verte.
« Des besoins, il y en a et il y en aura »
3 questions à Sylvie Gustave-dit-Duflo, présidente de l’Arbig, agence régionale de la biodiversité des Îles de Guadeloupe.
Selon vous, les formations universitaires en écologie aux Antilles sont-elles adaptées aux enjeux spécifiques du territoire ?
En matière de biodiversité, l’UA est opérationnelle avec une licence Sciences de la vie et de la terre assez bien adaptée. Il manque toutefois, mais la pénurie est mondiale, un cursus en écologie terrestre avec spécialisation botanique. Cette profession, autrefois sans avenir, va devenir extrêmement demandée compte tenu des enjeux environnementaux. Au niveau de l’Arbig, par exemple, nous avons un conservatoire botanique qui va être amené à s’agrandir dans les deux à trois prochaines années. Les besoins sont là. Nos deux botanistes actuels, spécialisés en botanique tropicale, ont été recrutés au Brésil ! Ce serait donc pertinent qu’une filière se structure dans ce domaine localement.
En matière d’environnement, quelles sont les principales compétences recherchées ?
Nos territoires ont besoin de personnes formées pour de la gestion d’appui aux collectivités, des chefs de projets, des ingénieurs en biodiversité, etc. Les diplômés en master écologie peuvent être d’une grande utilité, par exemple, au sein d’une structure comme notre futur observatoire régional de la biodiversité. Des spécialistes en forêt tropicale sont également indispensables. Prenons l’exemple de Mayotte, qui, à la suite du passage de l’ouragan Chido, début décembre, souffre en termes de biodiversité. Le conservatoire botanique de la Réunion, qui dispose d’un herbier, intervient pour des remises en culture de plantes endogènes afin de relancer la végétation. Ce type de catastrophes naturelles va malheureusement se multiplier, notamment en Outre-mer. D’où l’intérêt d’anticiper et de se préparer. Nos territoires vont aussi avoir besoin de compétences dans le domaine des écosystèmes marins particulièrement impactés par le réchauffement climatique. Au Conseil régional de Guadeloupe, nous sommes en train de travailler sur des projets d’envergure menés sur une dizaine d’années autour de la biodiversité. Donc des besoins, il y en a et il y en aura !
Former des étudiants, structurer des filières… Tout cela prend du temps. Compte tenu de l’urgence de la situation, faut-il se limiter à l’université ?
Cela ne suffit pas, en effet. Au niveau de l’Arbig, nous essayons de plus en plus d’accompagner les associations afin qu’elles puissent monter en compétences, en ingénierie et obtenir des financements. Nous avons besoin d’elles pour une multitude de tâches, comme la surveillance des tortues marines par exemple. C’est finalement la mobilisation de tous, société civile, bénévoles, qui donnera des résultats.
Une génération engagée pour une société et une économie plus vertes
Dans un contexte marqué par l’urgence climatique, la perte de biodiversité et les défis environnementaux propres aux Antilles-Guyane, une génération de jeunes actifs, mobilisés et engagés, s’investit pleinement dans la transformation du tissu économique local.
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