Le Nord de la Martinique, nouvel eldorado ?
Souvent jugé sauvage, le nord de la Martinique est pourtant plein de promesses. Riche d’infrastructures clés pour la production d’énergie et de lieux patrimoniaux, en plein processus de valorisation, le nord serait-il un nouvel eldorado ? Visite de terrain. – Texte Yva Gelin
Incontestablement, la terre est une richesse à condition d’avoir conscience de son potentiel. Comment optimiser notre territoire ? Une question essentielle, compte tenu des nouveaux enjeux auxquels nous sommes confrontés : la transition énergétique, avec l’objectif d’autonomie d’ici 2030 ; le recyclage ; le réchauffement climatique ; les espèces en voie d’extinction, etc. Autant de problématiques vastes, inquiétantes et complexes.
En cette période de transition, un an et demi après l’arrivée du Covid-19 dans nos vies, les projets d’aménagements se bousculent et s’organisent pour la protection et la valorisation du nord de l’île pour en optimiser l’attractivité. Démonstration de l’importance de cet atout nordique.
Potentiel énergétique
Quel objectif déjà ? Ah oui, l’autonomie énergétique pour 2030. L’énergie étant principalement produite dans le nord avec la centrale de Bellefontaine, il est donc tout naturel de commencer par là. Les colossaux tubes de fer qu’il est difficile d’ignorer sur la route du nord utilisent maintenant des combustibles à très, très basse teneur en soufre. Les émissions de CO2 et d’oxyde de soufre ont diminué à la suite de l’installation de douze nouveaux moteurs diesel en 2014 permettant une économie de 15 % sur la consommation de combustible. Un projet dans lequel EDF a investi 450 millions d’euros et qui a été pris en charge par la filiale, habilement nommée, EDF PEI (EDF Production Electrique Insulaire).
Comme l’indique le document sur la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie de la Martinique de 2017, « le rôle de cette nouvelle centrale est d’apporter une garantie de fourniture d’électricité dans les meilleures conditions économiques et environnementales ». Rien ne se perd, tout se transforme : le site de l’ancienne centrale de Bellefontaine est en train d’être converti en incubateur de la Transition Énergétique. Résultat d’un partenariat entre le SMEM (Syndicat Mixte d’Électricité de Martinique) et Cap Nord, le site abrite ainsi un parc d’activités « Énergies – Innovations », consacré aux entreprises innovantes et startups, ou encore « un laboratoire de recherche et d’adaptation de solutions pour l’efficacité énergétique ».
On partait de loin, mais les résultats sont déjà là : entre 2017 et 2019, l’utilisation des énergies renouvelables dans le mix énergétique est passée de 7 à 25 %.
L’objectif, angélique reconnaissons-le, de 100 % d’énergie produite en Martinique, mérite bien un laboratoire dédié, plusieurs centaines de millions et une mobilisation tous azimuts de l’ensemble des acteurs économiques et institutionnels. On partait de loin, mais les résultats sont déjà là : entre 2017 et 2019, l’utilisation des énergies renouvelables dans le mix énergétique est passée de 7 à 25 %. Une transition qui s’est jouée dans le nord, grâce à la mise en place d’un parc éolien à Grand-Rivière en 2018 (sept éoliennes d’une puissance de 40 MW) et à la centrale.
Un pôle de tourisme patrimonial
Comme présenté par la Collectivité Territoriale de Martinique, dans la mise en œuvre d’un projet de territoire sur le nord caraïbe (signé en 2018), l’enjeu pour la Martinique est de « diversifier ses offres touristiques ».
Si le Sud est le digne représentant des plages de carte postale, le Nord peut capitaliser sur la richesse de son patrimoine et imaginer faire « vivre une expérience immersive » aux touristes. Les 8 communes du Nord Caraïbe, Case-Pilote, Bellefontaine, Le Carbet, Saint-Pierre, Le Prêcheur, Morne Rouge, Morne-Vert et Fond-Saint-Denis, sont ainsi au cœur d’une convention de territoire signée entre la CTM et Cap Nord, qui veut viser un flux de 600 000 touristes pour la zone.
Un positionnement qui fait sens, en accord avec un passé poignant et le conte tragique du « Petit Paris des Antilles » qui, un jour de 1902, fut frappé par le nuage de fumée de la Pelée. Saint-Pierre ou la ville où chaque pierre pourrait certainement être appelée « patrimoine ». Pour autant, l’histoire ne commence ni ne s’arrête aux limites de cette ville vestige.
La forte symbolique du patrimoine du nord c’est aussi l’habitation Duchamp. Peu connue, c’est là qu’un esclave prénommé Romain entama un mouvement de révolte après avoir décidé de jouer du tambour malgré l’interdiction du géreur. De cet évènement est parti l’insurrection du 22 mai 1948, alors que le décret officiel qui devait abolir l’esclavage était encore en mer, quelque part entre Paris et Fort-de-France.
Sur la route du nord, on trouve également les distilleries, n’importe quel amateur de rhum citerait spontanément celle qui produit le fameux « zépol karé » (Neisson) située au Carbet. Peuvent s’ajouter la sucrerie de l’habitation Céron au Prêcheur, la distillerie Saint James ou encore le Château Dubuc, ancienne habitation agricole et également réserve naturelle. Mais continuons, puisque notre île est réputée pour son rhum et sa canne à sucre. Le nord, c’est la distillerie Depaz à Saint-Pierre ou celle de J.M. à Macouba. Du côté de Basse-Pointe retrouvez l’habitation Pécoul dont l’architecture typiquement créole lui a valu un classement en tant que monument historique en 1981. En passant par le Gros-Morne, une petite dégustation à l’habitation Saint-Etienne, plus connue sous le nom de HSE, vaudra certainement le détour… La liste est encore longue et donne le vertige.
Les routes du nord nous font serpenter à travers le patrimoine, la mémoire et l’identité de l’île, dévoilant un riche potentiel accessible à tous et demain, on le souhaite, à 600 000 touristes.
Si le nord a, un temps, pu sembler comme qui dirait “figé” ou ralenti dans son développement, il écrit aujourd’hui son histoire sans complexe et sans douter.
Richesse naturelle
La richesse du patrimoine du nord de la Martinique s’étend également à son patrimoine environnemental. La montagne Pelée, Réserve Biologique Intégrale (RBI), fait partie des références mondiales pour l’étude des sources de la terre. Elle est également, avec les pitons du Carbet, candidate au patrimoine de l’UNESCO.
Le nord, ce sont des espaces naturels à préserver tels que l’îlet Chancel qui, en plus d’abriter de grands oiseaux migrateurs et marins, est également le refuge de l’iguane endémique, aujourd’hui en voie d’extinction, Iguana delicatissima. En dehors de l’îlet, les seuls endroits, où sont répertoriés ces iguanes en Martinique, sont dans les forêts du Prêcheur, de Grand-Rivière et du Morne Jacob au Lorrain, c’est-à-dire toujours dans le nord.
Autre réserve naturelle mettant en avant la biodiversité est celle du domaine de l’Émeraude au Morne-Rouge qui fait partie du Parc Naturel Régional de la Martinique et qui est réputé pour ces espèces rares et endémiques.
D’autre part, dans le nord, on fait traditionnellement rimer biodiversité et agriculture. La terre y est propice aux projets allant vers la valorisation des ressources locales. Exemple avec l’exploitation du Morne des Cadets, première à pratiquer une agriculture biologique en Martinique ou encore avec l’Herboristerie Créole au Gros-Morne qui a été la première à, officiellement, bénéficier de l’appellation agriculteur biologique pour les plantes médicinales. C’est aussi à la ferme de Morne Capot que se cultivent les bananes biologiques martiniquaises…
Si le nord a, un temps, pu sembler comme qui dirait “figé” ou ralenti dans son développement, il écrit aujourd’hui son histoire sans complexe et sans douter.