Marijosé Alie, instinct, amour et féminité

Marijosé Alie est un couteau-suisse. Journaliste, musicienne, autrice-compositrice, écrivaine. Elle a choisi de vivre toutes ses passions sans jamais rien s’interdire, d’utiliser chacun de ses dons pour raconter le monde, glorifier la femme, interroger son île et tisser avec ses filles, la toile de lendemains qui chantent.

Marijosé Alie © Aubane Nesty
Fanny MARSOT

Dehors, l’hiver grise le ciel. La lumière jaune de son imposante lampe de chevet installe Marijosé Alie dans une chaleur réconfortante. Assise dans son fauteuil en cuir rouge, les yeux perçants derrière ses longs cheveux noirs aux mèches argentées, elle convoque ses souvenirs avec la sagesse de ses 73 ans et la fougue d’une femme qui œuvre toujours pour demain. « J’ai été moi, instinctuelle, avec mes qualités, mes erreurs, mes fautes. Je ne revendique pas, je suis. Maintenant le temps se raccourcit donc tout se précipite. Mais tous les petits pas que j’ai faits vont dans le bon sens pour que le futur existe », se félicite-t-elle.

« La féminité, c’est le devenir du monde »

L’avenir, c’est le sens de son engagement pour la féminité :  « Être femme dans ce monde est un combat permanent. Tu dois te préserver, préserver tes droits… J’ai dû me muscler la tête et le corps pour faire face ». Comment ? « En aimant la vie et en aimant les autres. » Marijosé aime les femmes qui l’ont précédée, « toutes ces anonymes sur les plantations, ces héroïnes du quotidien que je ne connais pas mais que je ressens. Elles m’ont inspiré ma réflexion sur le monde. » Une pensée qu’elle file dans son nouveau projet littéraire mené avec son amie et autrice Fauza Zouari. À 4 mains, elles imaginent un dialogue entre Marie, la vierge, et Marie-Madeleine, la prostituée, deux femmes incontournables dans la vie de Jésus mais qui « n’ont jamais eu la parole, quelque soit la religion ».

« Être femme dans ce monde est un combat permanent. Tu dois te préserver, préserver tes droits… J'ai dû me muscler la tête et le corps pour faire face »

Marijosé Alie

Les femmes et ses filles

Cet attachement aux questions féminines, elle l’a transmis à ses 3 filles. « Je n’ai fait que des amazones : Frédérique, Mélodie et Sohée. » Avec l’aînée et la cadette, elle a créé le concept Elle et Elles. Ensemble, elles chantent les louanges des fanm djok, « les femmes puissantes en chacune de nous ». Au Paris Jazz Club, en janvier dernier, le public reprenait avec elles Paloma,  « un pamphlet contre l’idée que seuls les hommes peuvent faire ce qu’ils veulent. Les femmes le peuvent aussi ».

La Martinique, « laboratoire du monde »

Marijosé revendique son antillanité. La femme martiniquaise est, dit-elle « ancrée dans la réalité avec un devoir qui dépasse l’Histoire. On a un réflexe de protection et de liberté ». Pour elle, « la Martinique est un peu un laboratoire du monde : l’esclavage, le multiculturalisme, les haines fossilisées, la reconstruction après l’éruption de la Montagne Pelée en 1902, la musique diffusée à l’international, la littérature. Si on n’est pas grand, on est quoi ? » 

Sur sa table basse trône le buste d’une femme dont les cheveux sont retenus par une coiffe. Marijosé l’a ramassée sur un marché de Port au Prince. « Toutes les semaines, je fais des cauchemars de ce que j’ai vu à Haïti il y a 35 ans. » Une tentative de coup d’État, une effusion de sang et de larmes. C’est aussi ça, le métier de journaliste. « Sans ce métier, j’aurais une vision du monde intellectuelle. J’ai une vision réelle. » 

Je suis partout

« J’ai rencontré des gens dont j’aurais aimé garder la présence dans ma vie. Je les fait revivre dans mes livres, à travers mes personnages. » Parmi ces rencontres : Aimé Césaire. Trois photos de leur dernier entretien ornent le mur. C’était il y a près de 20 ans mais elle n’a pas pris une ride, sa silhouette toujours aussi gracile. Tous deux semblent aussi proches qu’un père et sa fille. Sur l’un des clichés, elle lui chuchote à l’oreille sa dernière question : « quelle épitaphe voudriez-vous sur votre tombe ? » Le chantre de la négritude s’indigne : « vous voulez ma mort ? » Nous lui posons à notre tour la question. « L’essentiel serait de dire que je ne suis pas dans cette tombe. Je suis partout où il y a la vie. »

Marijosé Alie, une voix libre et engagée