Lucien SAINTE-ROSE
« J’ai débarqué en équipe de France par hasard »
Demi-finaliste sur le 100 m aux JO de Munich, en 1972, et finaliste sur le 4×100 m quatre ans plus tard, Lucien Sainte-Rose, 70 ans, se replonge dans sa double aventure olympique. L’ex-directeur des sports au conseil général de la Martinique nous a reçus,
chez lui, au Robert.
Par Anne-Laure Labenne
Vous considérez-vous comme le premier athlète martiniquais à avoir participé à des Jeux olympiques ?
Tout dépend si on aborde la question de manière “martinico-martiniquaise”. Je suis né en Martinique, c’est là que je me suis entraîné, où j’ai été licencié et, effectivement, je suis le premier, dans cette configuration-là, à être allé aux JO. C’était à Munich, en 1972. En revanche, le tout premier Martiniquais à avoir pris part aux Jeux s’appelle Victor Sillon, le sauteur à la perche (Londres, 1948, NDLR). Il est bien Martiniquais, mais c’est en France qu’il s’est toujours entraîné. Puis, il y a eu Robert Sainte-Rose, mon frère aîné, licencié un court temps en Martinique puis à Paris et qui a participé aux Jeux de Tokyo (1964) et de Mexico (1968).
Vous avez donc suivi le chemin de votre grand frère ?
Oui, Robert s’est retrouvé finaliste aux Jeux de Mexico au saut en hauteur. J’avais 15 ans et l’athlétisme m’intéressait. Il y avait à l’époque le Mémorial Marie-Perrine où j’avais déjà eu l’occasion de courir. Je battais les records de Martinique minimes : 60 m, saut en longueur… jusqu’à ce que j’arrive en junior. À partir de ce moment-là, la voie était toute tracée. J’ai débarqué en équipe de France par hasard, après mon record de France, en juillet 1972, sur le 200 m (20’’76, NDLR).
Vous aviez 18 ans lorsque vous êtes arrivé aux Jeux de Munich, cette même année 1972. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Quand c’est la première fois, c’est un monde nouveau. À l’époque, nous n’avions pas idée de ce qu’étaient les grandes compétitions, nous avions seulement des matches internationaux à nous mettre sous la dent. Mais les Jeux, c’est un autre niveau : ce sont cinq courses en 2-3 jours, ce n’est pas rien. Il faut les enchaîner, c’est un tout autre aspect du sport. Cela demande beaucoup de concentration. Les JO, c’est aussi tout ce qu’il y a autour :
72 000 spectateurs qui fourmillent, des dispositifs de sécurité… Mais ils devaient être insuffisants car il y a eu “les problèmes” avec les Palestiniens (1). Et il y a bien sûr les stars, auprès desquelles on se sent tout petit car on est débutant. C’est à la fois de la motivation et des inquiétudes de battre des athlètes comme eux. C’est tout ça les Jeux, des choses auxquelles nous ne sommes pas habitués en Martinique, loin de la petite compétition du dimanche matin.
À Montréal, en 1976, vous retournez dans l’arène. Qu’est-ce qui était différent, quatre ans plus tard ?
Compte tenu de ma blessure de février à juillet 1976, je n’ai pas pu participer au 200 m, là où je m’exprimais le mieux. J’avais cependant la réputation d’être un « bon vireur », c’est-à-dire quelqu’un qui court très bien en virage et l’entraîneur national a pensé que j’étais un plus pour l’équipe du relais 4×100 m. Nous arrivons jusqu’en finale et nous nous classons 7e. Pour la petite anecdote, nous sommes allés à Montréal en Concorde et j’avoue que je n’ai pas eu l’occasion de le prendre une deuxième fois.
Repensez-vous souvent à cette aventure JO ?
Uniquement à l’occasion d’interview ! Ce qui est fait est fait, après on passe à autre chose. Chez moi, je n’ai aucune coupe, aucune médaille, aucun trophée. C’est fini.
On connaît finalement peu de choses sur votre parcours de vie, que s’est-il passé après les Jeux ?
J’ai participé à de nombreux championnats de France durant lesquels je montais toujours sur le podium (champion de France 1977 sur 100 m, NDLR). Mais j’avais décidé de ne plus courir d’épreuves individuelles au niveau international. J’ai ainsi terminé ma carrière sans être allé aux Jeux de Moscou car, à cette époque, je construisais ma maison. J’ai dû faire un choix. Certes, mes compagnons ont décroché une médaille de bronze… Mais il ne faut jamais regretter ce qu’on a fait. Des médailles, j’en ai eu un paquet, et, en fin de carrière, quand on commence à avoir mal partout, c’est qu’il est temps d’arrêter. Malgré tout, je n’ai jamais réellement décroché du monde de l’athlétisme puisque j’ai été président de la Ligue de Martinique pendant six ans. J’en ai fait la première ligue de France, il faut le signaler, avec 37 médailles obtenues durant un championnat de France, avec seulement 2 000 licenciés !
(1) Le 5 septembre 1972, durant les JO, une prise d’otage visant des athlètes israéliens a choqué le monde. Onze d’entre eux sont assassinés par des membres de l’organisation palestinienne Septembre noir. L’opération de sauvetage, organisée par la police allemande, est un fiasco : 17 morts au total. Malgré tout, les Jeux vont se poursuivre dès le lendemain.
Retrouvez cet article dans le hors-série D’entrée de jeux, édition 2023