Laura FLESSEL, la grande soeur

Pour ses cinquièmes et derniers Jeux, à Londres, la Guadeloupéenne Laura Flessel portait les couleurs de la France et le poids de toute une délégation.

Laura Flessel © CNOSF_KMSP
Thibaut Desmarest

Pour ses cinquièmes et derniers Jeux, à Londres, la Guadeloupéenne portait les couleurs de la France. Mais aussi le poids de toute une délégation d’athlètes  à choyer, dans les joies comme dans les peines.

Par Thibaut Desmarest

Le poids du drapeau national, tout aussi physique que symbolique. Laura Flessel en a fait fi. « Je faisais surtout attention à ne pas me le prendre dans le visage avec le vent », rigole-t-elle. Athènes 2004, Pékin 2008, Londres 2012… La troisième candidature fut la bonne pour l’athlète, réputée tenace. « J’avais un beau palmarès, j’étais une femme, une maman, impliquée dans la vie citoyenne, noire, je cochais toutes les cases. Je me suis dit qu’à un moment, ils finiraient bien par craquer  !  »

Si elle en plaisante aujourd’hui, la “guêpe” avoue avoir pris son rôle très au sérieux pour chaperonner plus de 300 athlètes tricolores présents dans l’antre de l’Olympic Stadium, en cette soirée d’ouverture des Jeux si solennelle. Non sans une grande vibration intérieure. « J’ai pensé à cette jeune Guadeloupéenne qui a quitté sa famille et son île, à 18 ans, avec son petit sac d’escrime. À mes cousins et cousines que je n’ai pas vus grandir, au dombré de mes parents, au carnaval… À tout ce que j’ai laissé pour une seule raison : briller. »

Loin de développer un sentiment de revanche, l’ancienne ministre des Sports n’en oublie pas pour autant les sacrifices consentis. « Je viens d’un milieu modeste. Quand je devais partir pour une compétition, par exemple, mes frères et sœurs m’offraient leur argent de poche. Je n’ai pas oublié. Et puis, il y a eu le racisme. Il faut le dire, je faisais tache dans un sport de blancs. On m’a mis des bâtons dans les roues. Mais parfois, quand je baissais mon masque, je me disais qu’un jour je serais légitime pour porter ce drapeau. Alors en entrant dans le stade, mon cœur a explosé. »

Investie d’une mission

À 40 ans et pour ses cinquièmes JO, Laura Flessel comprend vite que son rôle ne se limitera pas à parader devant les caméras. La double championne olympique à Atlanta (1996) se sent investie d’une mission. « Je n’étais pas simplement porte-drapeau mais capitaine d’une équipe intergénérationnelle et pluriethnique. On devient la carte de visite de notre pays, avec une notion géopolitique face aux autres nations. »

Sortie dès les 8e de finale, la Petit-Bourgeoise tombe le masque et enfile sa cape pour « rire et pleurer avec les autres ». Comme une grande sœur. « Le système fait que les médias et le public ne s’intéressent qu’aux médaillés. Je me souviens de ce jour où tout le monde courait voir le combat de Teddy Riner. En filant dans le couloir du stade, j’aperçois Sophie Mondière assise, seule, en larmes. Elle venait de se faire éliminer au 1er tour. Je suis restée auprès d’elle et on a pleuré ensemble. Elle avait arraché sa qualif’ aux Jeux après sa grossesse. On se comprenait. Je m’en souviendrai toute ma vie. »

C’était aussi l’époque des premiers Jeux pour les pépites guadeloupéennes de l’escrime : Ysaora Thibus, Anita Blaze, Enzo Lefort. Et celle des polémiques après la déroute des tireurs tricolores, en guerre contre la Fédé. « Un mouvement de grève se préparait, une conférence de presse houleuse aussi. Je suis allée voir mes petits Guadeloupéens et je leur ai demandé de ne pas entrer dans un mauvais combat, de ne pas salir leur image avant même d’avoir commencé leur carrière. Enzo est finalement parti faire du tourisme avec ses parents. Et on est allé voir du hand avec Ysa et Anita. Être porte-drapeau, c’est aussi ça, toutes ces petites histoires qu’on ne voit pas. »

Laura Flessel, qui a passé le flambeau à cette nouvelle génération dorée, verrait bien l’un d’eux conduire la délégation, à Paris, sous l’emblème tricolore, « quitte à être chauvine jusqu’au bout ! ».  Avec un seul conseil  : « Attention à ne pas se faire absorber par la pression, car il est toujours plus difficile de briller chez soi.  » Cette fois, le drapeau tricolore risque bien de peser deux fois plus lourd.


Retrouvez cet article dans le hors-série D’entrée de jeux, édition 2023