Ketty CHAM, « le haut niveau n’est pas dans notre ADN »

Après une vingtaine d’années passées dans l’Hexagone, Ketty Cham s’est vu missionner, en 2010, de relancer l’athlétisme antillo-guyanais. Cette saison, la CTN (1) chapeaute les 18 athlètes du Pôle espoir d’athlétisme du Creps. Interview sans filtre sur le haut niveau.

Ketty Cham © Jude Foulard||
Anne-Laure Labenne

Après une vingtaine d’années passées dans l’Hexagone, Ketty Cham s’est vu missionner, en 2010, de relancer l’athlétisme antillo-guyanais. Cette saison, la CTN (1) chapeaute les 18 athlètes du Pôle espoir d’athlétisme du Creps. Interview sans filtre sur le haut niveau.

Propos recueillis par Anne-Laure Labenne

Quelles étaient les priorités, à votre arrivée en 2010, au travers du “Plan Antilles-Guyane” ?

Après un temps d’analyse, il a fallu restructurer l’encadrement et l’accompagnement des jeunes. Que manquait-il ? Des stades, des entraîneurs formés et des compétitions de haut niveau. Une équipe technique régionale et interrégionale (Guadeloupe, Martinique, Guyane) a été créée et on s’est mis d’accord sur le fait que les athlètes doivent se confronter plus, donc partir dans la Caraïbe, mais aussi se rencontrer davantage avec des stages communs pour les trois départements. Toutes ces actions ont créé une certaine émulation qui a fait que nos sportifs et nos entraîneurs se sont sentis portés, aidés et accompagnés. Il faut rappeler que nos territoires connaissaient une grosse vague de départs. Nos meilleurs, je pense à Christine Arron, Yannick Urbino, Francine Landre, Viviane Dorsile, des athlètes qui étaient en équipe de France, s’en allaient parce qu’il n’y avait pas de proposition de compétition.

Wilhem Belocian, qui était à vos côtés depuis douze ans, a rejoint l’Hexagone en septembre. Comment l’avez-vous vécu ?

C’est un déchirement de se séparer après douze ans, on ne va pas se le cacher. Nous avons connu des hauts, des bas, de belles victoires, des pleurs, aussi, par rapport aux blessures. Mais il faut se dire que les athlètes ne nous appartiennent pas. L’entraîneur de haut niveau doit en être conscient. Il s’agit du projet de l’athlète et nous l’accompagnons dans son projet, même si on finit toujours par se l’approprier. Wilhem a senti le besoin de passer à autre chose et il n’y a pas de problème là-dessus. Mais je ne m’attendais pas à ce qu’il parte. Nous avons eu un entretien tous les deux où il m’a fait part de ses intentions. Il était en train de mettre en place des choses avec la “cellule préparation mentale” pour 2024 et sa conscientisation l’a poussé à se dire que, vu le travail qu’on lui demande, il fallait qu’il aille voir ailleurs.

Est-ce alors une finalité, pour un athlète, de devoir partir ?

Oui, dans la mesure où les échéances, la compétition, la confrontation et le haut niveau se trouvent ailleurs. On ne va pas se mentir, ici, il n’y en a pas. La structuration des compétitions ne permet pas la confrontation. Je le regrette. Il n’y a pas de meeting, les compétitions sont organisées de telle sorte que les meilleurs ne s’affrontent jamais. Les horaires, n’en parlons pas. Nous ne sommes pas dans des conditions de performance. Malheureusement, il n’y a pas la prise en compte de nos meilleurs, on est encore sur la masse. Je ne demande pas que ça soit systématique, mais leur permettre deux-trois fois dans la saison d’être dans une situation de performance. Il est primordial que les différentes directions soient conscientes de cette nécessité.

C’est ce manque de confrontation qui est le plus dur pour un athlète qui fait le choix de rester aux Antilles-Guyane  ?

Ils ne sont pas nombreux à être dans le haut niveau de performance, donc oui ça manque. On a eu cette possibilité avec le “Plan Antilles-Guyane” de les faire se rencontrer entre territoires. Je prenais les meilleurs et on partait même dans la Caraïbe. Ce plan est terminé et il ne se passe rien depuis. Je fais de mon mieux en organisant des actions directement dans l’Hexagone. Je regroupe les meilleurs athlètes sur des camps d’entraînement, deux fois par an, que je mets en place avec l’aide de la Fédération. On est ensemble, entraîneurs et athlètes, et ça permet d’avoir encore cette émulation et de se dire : on prépare les mêmes échéances, on a la même dynamique, on a les mêmes objectifs.

Faire du haut niveau aux Antilles-Guyane, à vous écouter, n’est pas si limpide…

Non, ça pourrait être simple, mais ce n’est pas dans notre ADN. Peut-être que la Guadeloupe est « Terre de Champions », la terre est nourricière de champions, mais dans la pratique on n’y est pas vraiment. Pour preuve, j’ai une installation au Creps qui est sans lumière. Et quand il fait nuit à 17h30, on ne voit plus rien. Vouloir faire du haut niveau, en 1h30 par jour, quand les sportifs quittent l’école à 16 heures… Non, ce n’est pas ça le haut niveau.

Justement, quel regard portez-vous sur la piste connectée Marie-José Pérec ?

Il était nécessaire d’avoir une piste car le haut niveau impose une unité de lieu. Se déplacer, c’est perdre du temps. Lorsqu’on a tout sur place, c’est efficacité, efficience, gain de temps et performance. Cette piste est un atout supplémentaire car elle permet d’avoir des données sur la fréquence de mes athlètes, l’amplitude, la vitesse,
le nombre de foulées réalisées… Ce n’est pas une obligation d’être connecté pour faire du haut niveau mais c’est un plus intéressant pour un entraîneur d’analyser, sur un instant T, où en est  l’athlète.

Comment préparez-vous vos entraînements ?

Les entraînements sont individualisés, donc chacun a sa séance. Tout est écrit, j’ai un plan avec une programmation qui est annuelle voire bi-annuelle (saison hivernale et saison estivale, NDLR), avec l’évolution de la charge d’entraînement, à quel moment j’augmente ou je diminue, à quel moment je vais passer en phase de compétition, à quel moment je mets le repos. La programmation d’un entraînement, c’est une recette. Il y a des enchaînements qui sont cohérents. Il est important que ça soit cadré.
J’utilise aussi la vidéo en travaillant en direct avec la cellule performance de l’Insep, à Paris. J’ai des retours quotidiens sur les séances car Laëticia Bapté et Kenny Fletcher (2) sont dotés de GPS.

Laëticia Bapté a pour objectif les JO de Paris 2024, pour le 100m haies. Quel va être son programme pour les mois à venir ?

Laëticia est engagée dans sa préparation. Elle va enchaîner les meetings qui lui permettent de rapporter des points. Ça passera d’abord par les championnats de France, fin juillet, à Albi, où elle jouera sa place en équipe de France. Elle aura un minima à faire de 12’’78, et c’est ce niveau de performance que nous allons chercher. Puis les championnats du monde, à Budapest, fin août.

Vous avez fait des haies votre spécialité. Quel lien avez-vous avec vos athlètes ?

Je sais qu’ils me craignent ! Mais quand un athlète fait le choix de venir vers moi, je lui dis d’entrée : “Avec moi, c’est rigueur, ponctualité et plaisir”. Un athlète qui n’est pas ponctuel, c’est une perte de temps. Une compétition est “timée”. Si on ne prend pas déjà l’habitude d’être à l’heure pour se préparer, pour être prêt à l’heure H, il y a un problème. Je suis quelqu’un de rigoureux et je ne vais pas hésiter à recadrer les choses.

(1) Conseiller technique national

(2) Laëticia Bapté et Kenny Fletcher. Ils font partie des quatre sportifs de haut niveau, avec Allan Lacroix et Princesse Hyman, qui préparent des échéances internationales en équipe de France.


Retrouvez cet article dans le hors-série D’entrée de jeux, édition 2023