Jessica Oublié, l’écriture chevillée au corps
Petite, Jessica Oublié rêvait de journalisme et d’engagement. Aujourd’hui, autrice de bandes dessinées, elle dévoile des pans méconnus de l’histoire des Antilles à travers des thèmes comme le Bumidom et le scandale du chlordécone. Installée en Guadeloupe depuis 2018, elle est également la correspondante régionale de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme.
Jessica Oublié, vous rêviez de journalisme. Comment ce parcours a-t-il évolué vers l’écriture de bandes dessinées ?
Petite, j’ai grandi à Clichy-sous-Bois, entre une mère guadeloupéenne et un père martiniquais. J’étais fascinée par le journalisme, passionnée par l’écriture et avide de comprendre le monde. À la Sorbonne, j’ai étudié l’histoire de l’art et la sociologie tout en collaborant avec le média Africulture puis son magazine urbain Afriscope, ce qui m’a permis d’aiguiser mon esprit critique et de varier les styles d’écriture. Mon parcours professionnel m’a menée en Afrique : en Centrafrique pour l’Alliance Française ; à Madagascar, et au Bénin à l’ambassade de France, où j’ai eu en charge l’appui à la francophonie. De retour en France, j’ai eu envie de me former à l’ingénierie de formation pour accompagner les salariés dans leur environnement de travail. C’est l’annonce du cancer de mon grand-père qui m’a incitée à me reconnecter aux Antilles et à plonger dans mes racines. C’est ainsi qu’a germé l’idée de Peyi an nou, mon premier ouvrage.
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Pourquoi avoir choisi d’écrire sur le Bumidom et le chlordécone ?
Le retour aux Antilles a été une révélation. En enquêtant sur l’histoire de mes grands-parents, venus en France hexagonale via le Bumidom dans les années 1970, j’ai pris conscience de l’ampleur du déracinement collectif vécu par de nombreux Antillais. Peyi an nou est né de cette volonté de documenter et de partager une histoire familiale et collective, marquée par des sacrifices pour un avenir meilleur. Après cette première œuvre, je me suis installée en Guadeloupe et j’ai découvert l’ampleur du scandale du chlordécone, ce pesticide aux conséquences sanitaires et environnementales catastrophiques. Deux ans d’enquête en Guadeloupe, en Martinique, aux États-Unis et en Europe ont abouti à la création de ma deuxième bande dessinée, Tropiques toxiques, sortie en 2020 et vendue à plus de 15 000 exemplaires.
Pourquoi avoir fait le choix du format de la bande dessinée ?
La bande dessinée rend les sujets complexes accessibles. J’ai voulu mêler la petite et la grande histoire, le dessin est un médium puissant pour cela : il parle à ceux qui ne lisent pas forcément et facilite la transmission de récits intimes et universels. Aujourd’hui, je continue sur cette voie avec deux nouveaux projets, Par la main, qui explore le retour en Martinique d’un homme, mon père, après 40 ans d’absence, et Lapwent, qui raconte le quotidien de trois amies septuagénaires de Pointe-à-Pitre. Pour moi, la BD est un outil d’éducation et de mémoire collective, qui construit des ponts entre les générations.
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Jessica Oublié : Bio express
Née en 1983 à Paris et aînée de trois sœurs, Jessica Oublié a grandi en Seine-Saint-Denis. Diplômée en histoire de l’art et sociologie à la Sorbonne, elle a travaillé en Afrique et en France pour des institutions culturelles. Ses bandes dessinées, Peyi an nou et Tropiques toxiques, ont rencontré un succès critique et public.