Intelligence artificielle : « Un formidable atout pour le journalisme moderne »
Trier des informations, obtenir une synthèse, une reformulation, un titre, transcrire une interview… L’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) générative dans les médias comme ChatGPT, a révolutionné la création de contenu. Opportunité ou réel danger pour le métier de journaliste ? Éléments de réponse avec Jérôme Ribeiro, président et fondateur de Human AI* spécialisée, depuis 2022, dans la démocratisation de l’intelligence artificielle.
Texte Sarah Balay
Vous organisez, dans plusieurs pays, une formation consacrée à l’intelligence artificielle (IA) dans la presse. Quel est l’objectif ?
Cette formation décortique comment l’IA est en train de transformer la manière dont nous produisons, consommons et interagissons avec les actualités. Le but est d’explorer comment, ensemble, nous pouvons garantir un journalisme éthique, innovant et pertinent à l’ère de l’intelligence artificielle.
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Quels sont, à ce jour, les principaux usages dans la presse ?
Ils sont multiples. On peut citer l’automatisation des tâches répétitives comme le tri des sources d’information, la transcription automatique des interviews ou encore la pré-rédaction de contenus basés sur des données structurées, comme les rapports financiers ou les résultats sportifs. L’outil peut aider à vérifier rapidement les faits et à croiser les informations, crucial dans la lutte contre les fake news et la désinformation. Il est aussi possible de personnaliser les flux d’informations pour les lecteurs, en fonction de leurs habitudes de lecture et de leurs intérêts. Elle analyse les tendances et prévoit les sujets susceptibles d’intéresser le public, permettant de couvrir des histoires qui auront un impact. Bien que cela reste controversé et nécessite une supervision éthique, cette technologie est capable de générer des articles simples, des résumés ou des rapports qui peuvent servir de base pour un travail journalistique plus approfondi. L’intelligence artificielle facilite la transcription automatique des interviews et peut être utilisée pour identifier des individus ou des éléments dans des vidéos, utile pour la recherche documentaire. Certains de ses outils peuvent proposer des améliorations de style ou de grammaire, évaluer les réactions du public aux différentes nouvelles. Des algorithmes sophistiqués peuvent aussi parcourir de vastes bases de données pour trouver des connexions et des informations qui seraient autrement difficiles à déceler par des méthodes traditionnelles
Quelles sont toutefois les mises en garde (sources, plagiat, erreurs, etc.) concernant l’intelligence artificielle ?
De nombreuses précautions doivent être prises en compte. L’usage de ce type de systèmes automatisés doit être aligné avec les principes éthiques du journalisme. Il est d’abord essentiel de s’assurer que les informations que l’intelligence artificielle analyse et utilise sont issues de sources vérifiées et crédibles. Celle-ci peut reproduire du contenu existant sans reconnaître les droits d’auteur. Le journaliste doit donc vérifier que le contenu généré reste original et respecte la propriété intellectuelle.
Même la technologie la plus avancée n’est pas à l’abri des erreurs. C’est pourquoi tout contenu produit par l’IA doit être scruté avec la même rigueur que si c’était un travail humain, pour éviter la diffusion d’informations incorrectes.
Malgré ses avancées, cette technologie peut aussi manquer de nuance en ce qui concerne le contexte culturel ou social des informations. Les journalistes doivent donc apporter leur expertise pour interpréter correctement les données et les présenter avec sensibilité.
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Et tout cela en toute transparence…
C’est la clé de la confiance du public. Les journalistes doivent être clairs sur l’utilisation et toujours indiquer lorsque le contenu a été assisté ou généré par l’IA. La sécurité des données est également essentielle. Lors du traitement de volumes importants de données, il faut garantir la protection des informations sensibles pour éviter toute fuite ou mauvaise utilisation.
Ces systèmes intelligents peuvent aussi amplifier les préjugés existants dans les données sur lesquelles ils ont été formés. Le journaliste doit donc travailler activement à identifier et à atténuer ces biais pour assurer la justesse et l’équité de son reportage.
Il est important d’éviter, enfin, que leur utilisation ne mène à une standardisation du contenu. La diversité des récits et des perspectives est essentielle pour un journalisme riche et représentatif. L’IA, bien encadrée, peut donc être un formidable atout pour le journalisme moderne.
Les journalistes doivent-ils toutefois craindre pour leur métier dans les années à venir ?
À court terme, pas du tout. Actuellement, l’IA est principalement utilisée comme un outil d’assistance destiné à augmenter l’efficacité des journalistes et leur permettre de se concentrer sur des aspects plus créatifs et critiques de leur travail, comme l’investigation, l’analyse en profondeur et la narration. À moyen terme, elle continuera probablement à évoluer et à s’intégrer plus étroitement dans les pratiques journalistiques. Il y aura une nécessité croissante pour les journalistes de s’adapter à ces changements, en acquérant des compétences en la matière et globalement au niveau des technologies numériques. Les journalistes qui s’adaptent et intègrent cette intelligence automatisée dans leur travail pourraient trouver de nouvelles opportunités et des moyens d’améliorer leur reportage. À long terme, le paysage est plus incertain et dépend fortement de l’évolution de l’IA et de son adoption dans le secteur médiatique. Il est possible qu’elle devienne suffisamment avancée pour prendre en charge des tâches plus complexes, ce qui pourrait transformer de manière significative le rôle des journalistes. Cependant, il est peu probable qu’elle remplace complètement le journalisme humain, en raison de la nécessité d’empathie, de jugement éthique, et de compréhension contextuelle, qui sont des attributs distinctement humains.
À l’heure où la méfiance envers les médias est importante, l’intelligence artificielle ne risque-t-elle pas d’aggraver la situation ?
En effet, si elle est perçue comme une force qui éclipse le jugement et l’intégrité humaine, ou si elle est impliquée dans la propagation de fausses informations, cela pourrait aggraver le scepticisme à l’égard des médias.
C’est pourquoi il est indispensable que les médias l’utilisant le fassent avec transparence, en expliquant clairement comment elle est employée et en s’assurant que son usage est conforme aux standards éthiques du journalisme. La formation et l’éducation sur l’IA pour les professionnels des médias et le public sont également essentielles pour bâtir la confiance et la compréhension.
L’accent doit être mis sur son rôle complémentaire en soutenant et en améliorant le travail des journalistes plutôt que de le remplacer. Avec une utilisation réfléchie et responsable, l’IA a le potentiel d’améliorer la qualité et la précision de l’information, ce qui peut en fait contribuer à renforcer la confiance dans les médias.
* Human AI établit des hubs d’innovation technologique en Afrique et à l’échelle mondiale. Elle entend créer un écosystème intégré, proposant développement personnel, formations, recrutement, expertise et conférenciers en IA et services tout en adoptant une vision ‘glocale’ – globale et locale – pour aligner l’Intelligence Artificielle avec les valeurs humaines.