Le confinement, la crise et l’impact psychologique
Le confinement nous a pris par surprise, a mis un coup d’arrêt à chacune de nos activités, nous a parfois poussé dans nos retranchements et amené à nous remettre en question. Au point de se demander quel impact une telle situation pourrait avoir au niveau psychologique.
Éléments de réponse avec Joyce Loe-Mie Déchamp, psychologue clinicienne et de la santé depuis 2002 et présidente de l’Association Guyanaise des Psychologues depuis décembre 2017, à l’initiative d’un numéro vert d’écoute psychologique pendant le confinement.
Comment a été mise en place votre ligne d’écoute psychologique ?
Joyce Lo-Mie Déchamp : Nous avons souhaité répondre à un besoin. En effet, de nombreuses personnes autour de nous se disaient perturbées par la situation. La seule façon de leur apporter de l’aide était de leur proposer une écoute, qui est la base de notre travail de psychologues.
Tout s’est alors fait assez vite, en moins d’une semaine, nous avons décidé de lancer une écoute téléphonique, plus d’une trentaine de psychologues se sont mobilisés et ont choisi leurs créneaux d’écoute en fonction de leurs disponibilités, la CTG nous a apporté son soutien pour la mise en place technique et nous avons même bénéficié de la solidarité d’une structure pour la création bénévole du visuel informant du numéro vert. Le 7 avril, la ligne était lancée.
Nous avons vraiment été accompagnés et je trouve cela fantastique. Pouvoir participer à un dispositif englobant tout le territoire et s’engager bénévolement est très fort humainement pour chacun d’entre nous.
Ce projet a également permis de créer du lien entre des psychologues qui ne se connaissaient pas, du fait de l’étalement géographique. C’est une expérience par ailleurs très enrichissante car c’est la première fois, pour la majorité d’entre nous, que nous répondions à un dispositif d’écoute.
Qu’apportez-vous aux appelants ?
La base de notre métier de psychologues est d’être réceptifs à la demande initiale. Mais également d’être capables de percevoir les demandes sous-jacentes non formulées. Nous pouvons avoir des personnes qui nous appellent en disant qu’elles ne se sentent pas bien en cette période et, de fil en aiguille, des problématiques plus spécifiques émergent.
« Notre mission première quand on reçoit l’appel est d’accueillir, d’entendre et de laisser se déverser la parole, afin d’apporter un soutien et une écoute psychologique, qui soient apaisants et sécurisants. »
Nous pouvons ensuite donner des pistes s’il y a des demandes précises. Par exemple, pour les parents qui rencontrent des difficultés avec leurs enfants, nous pouvons les inviter à structurer davantage les journées, à mettre en place des repères plus stables, à prévoir du temps de qualité parents/enfants, et d’autres où les enfants sont libres de gérer leur ennui et de prendre des initiatives pour faire des activités.
C’est vraiment à la demande mais le premier objectif est de laisser circuler la parole. Nous pouvons également aiguiller, orienter vers des structures médico-sociales et sanitaires ou vers des associations de soutien, si nécessaire.
Quelles sont les problématiques soulevées depuis le début de la crise de l’épidémie de Covid-19 ?
Il faut dire que jusqu’à maintenant, nous avons reçu entre 2 et 3 appels quotidiens. Cela n’est pas étonnant car nous savons que le seul fait de savoir qu’il existe un moyen de pouvoir échanger, de pouvoir parler de ses souffrances, est déjà rassurant en soi.
Cependant, sur la base des appels que nous avons reçu, pour beaucoup, les problématiques abordées relevaient de situations déjà existantes qui ont été exacerbées par la situation sanitaire.
Nous avons ainsi été contacté.e.s par des mamans faisant face à des troubles du comportement de leurs enfants, qui ont du mal à comprendre la situation. C’est en effet une situation lourde pour les enfants, en particulier ceux de maternelle qui font tout juste l’apprentissage de la socialisation ainsi que les plus grands qui ont besoin de prendre l’air et de faire des activités physiques.
De nombreux parents se rendent compte des difficultés de leurs enfants, ne savent pas comment appréhender ce nouveau temps de travail à domicile, ont du mal à poser des limites, à définir une organisation, à gérer leur travail en même temps que leurs enfants…
Nous recevons également des appels de personnes en difficulté par rapport à des addictions préexistantes. Ainsi que des appels de familles ayant des enfants souffrant de handicap ou d’autisme, dont le quotidien est évidemment moins facile à gérer, en raison de l’arrêt des prises en charge par les spécialistes pendant le confinement.
« Toutes les difficultés déjà présentes prennent davantage de poids dans le contexte d’isolement. »
Nous espérons avoir plus de recul par la suite afin de pouvoir jauger la souffrance psychique des guyanais, car nous savons par les échos que nous avons eu de nos réseaux professionnels et personnels que beaucoup de personnes se retrouvent actuellement en difficulté.
La crise que nous traversons aura-t-elle un impact sur notre mental ?
« Oui, il y aura un effet à moyen et long-terme car cette situation, qui n’est pas encore achevée, puise dans nos réserves psychiques. »
Cette crise inédite est source d’anxiété et peut faire émerger des idées noires et générer un état dépressif. Cela se manifeste par des troubles du sommeil, des difficultés à se lever le matin, un manque d’énergie, le fait de trouver un goût amer à la vie. Ce type de symptômes qui émergent à la faveur de la crise témoignent d’un sentiment d’angoisse, qui peut, petit à petit, tendre vers la dépression.
Il est, par ailleurs, possible que le déconfinement entraîne davantage de stress, du fait du manque de moyens et du non-respect des mesures préconisées qui donne l’impression de prendre des risques à chaque sortie.
En Guyane, la dernière fois que les psychologues ont été mobilisés sur un événement d’ampleur similaire, c’était lors de l’effondrement du mont Cabassou il y a 20 ans, qui avait fait plusieurs morts et causé un certain traumatisme.
L’épidémie actuelle prend des proportions encore plus importantes car elle est encore en cours. Ce n’est pas un événement brusque qui s’est achevé et pour lequel nous gérons l’après. Nous sommes encore en train de vivre un événement inédit, qui peut épuiser sur le moyen-terme, et nous ne savons pas quand sera “l’après”.
Qu’est-il prévu après le déconfinement ?
Nous allons pouvoir reprendre notre accompagnement en présentiel, qui est très important car la gestuelle du patient nous fournit autant d’informations que le verbal.
Travailler sans visuel par le biais de la ligne d’écoute est un exercice nouveau et une belle expérience professionnelle ; et du suivi à distance a été proposé pendant le confinement. Cependant, certains patients ne se sentaient pas légitimes d’être pris en charge en cette période et certains qui ont tenté la téléconsultation ont préféré attendre le déconfinement pour reprendre les séances.
Nous espérons par la suite pouvoir exploiter les données de ce numéro vert à travers un bilan, afin de laisser une empreinte de l’impact de cette crise sanitaire sur l’état psychologique de la population guyanaise.
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Cet article a été initialement publié dans l’e-magazine EWAG | Nos sociétés s’adaptent. Découvrez le magazine complet et son contenu interactif en cliquant ici.