Habit’âme, transformer les déchets en matériaux de construction
La mission d'Habit’âme, venir à bout des décharges sauvages, en collectant les déchets dans les quartiers défavorisés, pour en faire des matériaux locaux.
Venir à bout des décharges sauvages, en collectant les déchets dans les quartiers défavorisés, pour en faire des matériaux locaux. Telle est l’ambition d’Habit’âme.
Par Jéromine Doux
Deux conteneurs ont pris place dans un quartier résidentiel de Kaweni, au nord de Mamoudzou, à Mayotte. À l’intérieur, Matthieu Cozon et Hannah Dominique regardent avec attention la nouvelle plaque en plastique blanche, tachetée de couleurs, qui vient de sortir de leur presse. Une machine qui prend la moitié de l’espace de ce petit atelier, au milieu des bouchons de bouteilles et des paillettes en plastique, tout juste sorties de la broyeuse.
Lui est architecte, elle, spécialisée dans l’économie sociale et solidaire. Avec un professeur d’histoire-géographie et une seconde architecte, ils se sont associés, il y a deux ans, pour créer Habit’âme, une société de transformation de déchets plastiques en matériaux de construction qui souhaite employer des jeunes éloignés de l’emploi via des contrats d’insertion. Leur ambition : venir à bout des décharges sauvages de l’île et utiliser les plaques issues des déchets plastiques comme matériaux de construction. Avec l’idée, à terme, de participer à la conception de nouveaux habitats à destination des plus précaires, tout en étant moins dépendant des importations.
« Dupliquer le modèle dans l’océan Indien »
« On a un gros déficit de matériaux à Mayotte. Nous avons besoin de produire localement », souligne Mathieu Cozon, qui a rejoint Hannah Dominique, à l’origine du projet. Chez elle, l’idée a émergé dès 2016. « À cette époque, j’étais en service civique et je me déplaçais dans les bidonvilles. Là, je me suis rendu compte de l’insalubrité des habitats mais aussi de la quantité de déchets dans des décharges à ciel ouvert », confie la gestionnaire, également frappée par le manque de perspectives pour les jeunes. À Mayotte, en effet, 9 000 à 15 000 enfants ne sont pas scolarisés et le taux d’emploi ne dépasse pas les 30 % selon l’Insee.
En discutant avec ses proches, Hannah Dominique s’aperçoit qu’elle n’est pas la seule à avoir envie d’agir. Et quelques mois plus tard, les nouveaux associés créent leur premier atelier. Dans leurs conteneurs, différents types de plastiques sont traités. « On peut transformer les bidons de lessive, les gels douche, les vieux bacs à ordures, les pots de yaourt… Avec nos machines — importées de l’Hexagone — on peut faire des faux plafonds, des plans de travail de salle de bain, des parois de douche… » Mais aussi du mobilier grâce à des barres en plastique. « Cela peut servir à faire des bancs publics, des tabourets, des brise-soleil… », complète Matthieu Cozon. Aux côtés des associés, la société emploie deux salariés et espère « recruter six personnes en insertion d’ici la fin de l’année ».
Toutes les réalisations d’Habit’âme sont « low tech » et en open source. « Notre volonté est de dupliquer le modèle ailleurs, dans l’océan Indien. Cela pourrait intéresser Madagascar notamment, qui rencontre des problématiques similaires. » Avec ses produits, Habit’âme cible pour le moment le marché de la réhabilitation de logement et principalement de l’isolation mais aussi le marché de l’ameublement haut de gamme.
Projet éducatif et industrialisation
« L’idée est que la construction de matériaux à base de déchets s’inscrive dans un projet éducatif global. Que les élèves collectent les déchets, qu’ils les trient et, enfin, qu’ils procèdent eux- mêmes à la transformation. Deux de nos machines sont consacrées à ça », détaille l’entrepreneuse.
Dans le même temps, la société souhaite « réhabiliter certains quartiers, particulièrement concernés par la prolifération de déchets, tout en faisant travailler des publics en insertion ».
Pour tous ces projets, Habit’âme recherche des financements afin de « semi- industrialiser » la production puis de lancer la commercialisation.
Retrouvez cet article dans le hors-série Outre-mer Innovation.