Ganesh Pedurand, touché mais pas coulé

S’il a pris sa retraite anticipée à 25 ans, après avoir échoué dans sa quête de qualification aux Jeux de Rio (2016), Ganesh Pédurand a su rebondir.

Ganesh Pedurand © Stéphane Kempinaire
Thibaut Desmarest

S’il a pris sa retraite anticipée à 25 ans, après avoir échoué dans sa quête de qualification aux Jeux de Rio (2016), Ganesh Pédurand a su rebondir.

Par Thibaut Desmarest

«Un sportif qui s’engage et qui clashe des politiques, c’est rare  !  » Fin octobre 2015, l’animateur vedette de Canal +, Yann Barthès, présente sur le plateau du Petit Journal le jeune nageur guadeloupéen Ganesh Pédurand, invité après un billet publié sur son blog. À moins d’un an des Jeux d’été au Brésil, le Gosiérien de 23 ans sort de l’anonymat et entre dans le poste télé pour défendre une France multiculturelle, en réponse aux propos polémiques de la députée LR Nadine Morano. Un quart d’heure de gloire cathodique que le multiple champion de France du 200 m quatre nages ne revivra pas dans les couloirs de Rio. La faute à une qualification manquée pour 24 centièmes de seconde lors des championnats nationaux à Montpellier, quelques semaines avant la grand-messe olympique. « Pour un sportif de haut niveau, les JO, c’est le Graal. Alors, quand tu bois JO, que tu manges JO, que tu t’entraînes JO, c’est forcément très douloureux d’échouer si près. »

Comme son compatriote guadeloupéen Joris Bouchaut, Ganesh Pédurand n’a pas été sauvé par la Fédération française et son système obscur de repêchage. Ses partenaires du club des Dauphins du Toec (Toulouse), Lorys Bourelly et Nicolas d’Oriano, eux, ont filé sans lui au pays de la samba. Un crève-cœur qui marque la fin précoce de sa carrière, à seulement 25 ans. « Il m’a fallu quelques mois pour faire le deuil. Mais ma vie ne s’est pas arrêtée là. »

S’il s’était imaginé partir en Australie faire danser les shakers derrière un bar « pour relâcher la pression accumulée  », l’ancien poulain de Didier Icheck au pôle espoir en Guadeloupe a finalement choisi une voie plus rangée. « Dans tous les cas, je ne me voyais pas repartir pour quatre ans et 35 heures de sport par semaine, à enchaîner 60 à 80 km de nage, sans aucune assurance d’obtenir une sélection ou un salaire décent. »

L’athlète prépare alors son concours d’entrée à Sciences Po, puis travaille comme collaborateur parlementaire à l’Assemblée nationale, avant d’œuvrer aujourd’hui pour Capgemini, un cabinet de conseil spécialisé dans le développement durable. « J’ai dû vivre et grandir avec cet échec pour me fixer d’autres challenges. Un mal pour un bien. »

Une deuxième naissance

La tête pleine sur ses larges épaules, Ganesh vit sa nouvelle vie « comme une deuxième naissance ». Passionné par les questions sociétales et politiques, le néo-Parisien profite pleinement de ce qui lui manquait au bord des bassins. « En arrivant à Sciences Po, je suis entré dans un autre monde face à des profs aux carrières incroyables et des chefs d’État venus donner des conférences. Depuis l’âge de 11 ans, en Guadeloupe, je me suis levé à 5h du mat’ pour enchaîner les longueurs. À un moment donné, j’ai eu besoin d’autre chose. »

En quête perpétuelle de stimulation intellectuelle, l’athlète détonnait déjà durant sa carrière sportive en menant de front des études de journalisme. Mais contrairement au système universitaire américain, la quête d’un double projet sport-études s’apparente, en France, à un 10 000 m en apnée. « Là-bas, ce sont des gladiateurs. On les met dans les meilleures dispositions alors que, chez nous, on est sans cesse réduit à notre statut de sportif, avec les a priori qu’on connaît. Sans parler du peu de moyens alloués par l’État et les Fédérations. On nous demande d’exceller dans les deux domaines, mais sans aménagement, c’est le parcours du combattant. »

Aujourd’hui âgé de 30 ans, le Guadeloupéen se laisse même aller à quelques considérations philosophiques. « L’athlète, c’est un peu le mythe au service de la société méritocratique de la valeur travail, alors que c’est quelqu’un comme tout le monde, avec ses doutes et ses faiblesses. Oui, ça aurait été incroyable d’être Olympien mais, au final, on ne sait même pas ce que sont devenus 95% des athlètes qui ont participé aux Jeux. Souvent, c’est le grand vide derrière. »

Trop pragmatique pour décrocher des médailles mondiales, Ganesh Pédurand  ? « Avec le recul, je me dis parfois que j’aurais pu lâcher un peu les études et reprendre plus tard, mais on vit tellement dans l’inconnu. Je ne voulais pas négliger mon après-carrière. D’autant qu’avec la réforme des retraites, il te reste encore quarante ans à bosser derrière. » Un athlète engagé, disait l’animateur télé.

Il m’a fallu du temps pour faire le deuil


Retrouvez cet article dans le hors-série D’entrée de jeux, édition 2023