Contact Entreprises tire la sonnette d’alarme
La crise sociale qui secoue la Martinique depuis plusieurs semaines a eu des répercussions désastreuses sur les entreprises locales. Plus de 150 entreprises ont été impactées. L’association Contact Entreprises tire la sonnette d’alarme et réclame un sursaut de conscience. Il y a urgence !
Nous devons maintenir l’esprit d’entreprendre et l’envie d’entreprendre.
Dans quel état d’esprit les entreprises sont-elles aujourd’hui ?
Jean-Yves Bonnaire, président de Contact Entreprises : Il y a un profond sentiment d’injustice chez les chefs d’entreprise. Ce sentiment est assez général parce que les entreprises martiniquaises ont vraiment l’impression qu’elles sont les boucs-émissaires et le réceptacle d’une colère qui a été parfois instrumentalisée ou qui a aussi parfois été aveugle. Il y a désormais beaucoup d’inquiétude par rapport à la nature de cette énième crise qui va, de toutes les façons, laisser des traces importantes et durables pour une Martinique qui n’avait pas besoin de ça.
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Êtes-vous inquiet des conséquences de cette crise sur la Martinique dans son ensemble ?
Il y a lieu d’être inquiet pour nos entreprises locales d’abord, pour les chefs d’entreprises qui les dirigent, leurs salariés. Mais nous sommes aussi inquiets pour les clients de ces entreprises qui doivent trouver des solutions alternatives quand ils n’ont pas été eux-mêmes des victimes collatérales d’actions totalement irresponsables. Les acteurs territoriaux que sont les entreprises sont très inquiets pour la Martinique dans son ensemble, parce qu’on comprend bien, par rapport aux arguments qui sont parfois donnés par les uns et les autres, que la problématique n’est pas exclusivement économique. Le pouvoir d’achat des Martiniquais et les prix de l’alimentation semblent être les paravents d’une crise plus profonde, plus insidieuse dont les racines vont chercher ce qui fait de nous le peuple martiniquais dans toute sa diversité. C’est donc compliqué pour les seuls acteurs économiques d’avoir toutes les réponses à des problématiques qui, quelque part, les dépassent.
Qu’est-ce que les chefs d’entreprises vous ont rapporté ?
La période actuelle a démultiplié ce besoin d’échanges entre membres des organes de gouvernance de l’association, mais aussi entre les adhérents et nos permanents ou les entrepreneurs bénévoles qui siègent au sein des instances de gouvernance. Nous essayons depuis le début de cette crise d’être la voix de certains entrepreneurs qui se sont retrouvés de manière soudaine et injuste dans des situations dramatiques. Ces situations dégradées perdurent parfois et, dans certains cas, les destructions sont irrémédiables et fatales aux entreprises impactées. Nous avons souhaité à la fois recevoir ces appels à l’aide, les faire connaître, puisque nous avons très clairement dans notre objet une mission de communication sur les réalités de l’entreprise martiniquaise, dans tous ses états. Nous avons cherché à comprendre ce que nous disaient les chefs d’entreprises sinistrés de façon à participer avec d’autres acteurs du monde patronal ou consulaire, à la recherche de solutions immédiates de continuité d’activité. La priorité reste aujourd’hui l’arrêt de ce véritable massacre de notre économie locale et des emplois salariés. Nous n’oublions cependant pas la recherche de solutions à plus long terme qui nous permettraient d’éviter de revivre ce genre de situations très violentes et particulièrement destructrices de valeur.
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Avez-vous un message à passer ?
L’appel que nous pouvons faire est prioritairement destiné à l’ensemble des entreprises impactées par ces évènements démarrés le 1er septembre dernier. Notre message est avant tout un message de solidarité et de soutien. Notre message s’adresse aussi à tous ceux dont la mission est de ramener l’ordre, ils ont également notre total soutien. Sans retour à l’ordre, sans retour à la liberté de pouvoir circuler ou de commercer, il est illusoire de penser retrouver un niveau de confiance suffisant pour mettre en œuvre le protocole d’accord signé par les acteurs qui ont choisi de s’engager. Notre message est aussi un appel à la société martiniquaise pour que tous prennent conscience qu’il n’est pas aujourd’hui possible de rajouter de la souffrance à la souffrance. Il y a, en 2024, sur notre île, des situations qui sont humainement et socialement dramatiques, mais on n’a pas le droit, en disant vouloir résoudre ces situations, de créer de la souffrance à d’autres individus ou parfois même aux individus auxquels ces luttes étaient précisément destinées ; ce n’est pas tolérable. Il nous faut un sursaut, une prise de conscience, et ce, le plus vite possible, parce que plus on tarde et plus il y aura des dégâts. Nous avions déjà mis plusieurs années à nous remettre d’une autre crise, celle de 2009 basée sur la même question de la vie chère. C’était une crise éminemment plus populaire et plus structurée qui n’a pas laissé de ressentiment violent entre « protagonistes ». On a affaire, aujourd’hui, à une crise d’un genre nouveau qui semble combiner la crise de 2009 avec celle de novembre 2021. Elle n’a donc pas une structuration classique et elle introduit de nouveaux acteurs que certains ont choisi de légitimer.
Quel rôle Contact Entreprises pourrait jouer dans cette crise ?
Notre mission consiste aujourd’hui à essayer dans le chaos relatif ambiant de continuer à valoriser les entreprises martiniquaises pour tout ce qu’elles font de bien, et pour les services qu’elles rendent aux martiniquais, quelle que soit leur condition sociale. Nous essayons également, par tous les moyens, de maintenir l’esprit d’entreprendre et l’envie d’entreprendre parce qu’on comprend bien que de jeunes compatriotes qui voient ce qui se passe depuis le 1er septembre pourraient être tentés d’abandonner leur projet de création d’entreprise. Nous voulons bien entendu continuer à être proches des chefs d’entreprises qui vivent des moments compliqués, parfois dramatiques. Et nous croyons enfin en la nécessité d’affronter ces crises en « solidaires » avec d’autres acteurs des corps constitués ou des sphères périphériques de l’écosystème entrepreneurial. Nous continuerons à construire des passerelles, c’est inscrit dans l’ADN de l’association.
Pourquoi est-il important de rappeler le rôle d’une entreprise ?
Il y a beaucoup de mythes à déconstruire à la Martinique à propos de l’entreprise. Il y a eu des entreprises pillées, détruites… et les gens disent que les assurances vont payer. Aujourd’hui, il y a des salariés dont on ne sait pas s’ils vont percevoir leur salaire… on dit : écoutez, il y a des dispositifs étatiques d’activité partielle. Nous estimons que c’est important que des entreprises soient là pour proposer des biens ou des services au prix qu’elles décident en leur âme et conscience et il est parfaitement normal que le consommateur ait le choix d’accepter ces prix ou les conditions de vente en ayant le choix des vendeurs. On a beaucoup parlé de monopoles, d’oligopoles depuis quelques mois. Il y a en Martinique un nombre extrêmement limité de monopoles, et la distribution alimentaire n’est clairement pas dans cette situation. Il faut peut-être que tous se remettent en question à l’occasion de cette crise, les consommateurs, clients des entreprises, aussi. Les entreprises ne sont pas là pour dicter les comportements individuels des consommateurs, ces choix de consommation jouant un rôle-clé dès lors qu’on évoque la notion de pouvoir d’achat.
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Comment imaginer l’après selon Contact Entreprises ?
Il faudrait que le dialogue entre acteurs territoriaux rendu obligatoire par la réalité de cette crise, puisse désormais s’inscrire dans la régularité, dans la fréquence, et dans l’envie. Parce qu’on y a tous intérêt, il faut (ré)apprendre à discuter sereinement entre parties-prenantes, y compris, et surtout, quand les solutions à imaginer sont complexes. La confiance se construit dans la pratique de la confrontation apaisée et dans le respect qui est un prérequis qu’il ne faut jamais sacrifier. La priorité sera donc de maintenir ce dialogue au-delà de la crise qui se terminera bien à un moment donné, le plus tôt possible nous l’espérons.
L’association Contact Entreprises a été créée il y a 35 ans. Son objet principal : la promotion de l’image de l’entreprise et des entrepreneurs. Elle compte en son sein plus de 300 entreprises de toutes tailles et de tous secteurs d’activité.
Contact Entreprises
Tour Lumina – 16ème étage
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97200 Fort de France