« Construire des solutions locales, un impératif pour la santé en Martinique »
Yves Servant est le nouveau directeur général de l’ARS Martinique. Quelques jours après ses premières visites de terrain, nous l’avons rencontré pour connaître sa vision et ses ambitions pour la santé des Martiniquaises et des Martiniquais.
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Lors de l’annonce de votre nomination, vous avez insisté sur l’importance de « soutenir la construction de solutions locales ». Pourquoi est-ce important en matière de santé que les solutions se construisent localement ?
Yves Servant : C’est essentiel, d’abord parce que chaque région possède ses propres spécificités et défis en matière de santé. En élaborant des solutions locales, nous répondons mieux aux besoins spécifiques de la population martiniquaise en intégrant ses réalités démographiques, géographiques et culturelles.
Ensuite, la santé est une affaire collective, et en impliquant les professionnels de santé, les associations et les citoyens dans la conception et la mise en œuvre des projets, on crée un cercle vertueux qui favorise une meilleure appropriation et efficacité des solutions. C’est aussi un élément de cohésion sociale.
Par ailleurs, en prenant en compte que 80 % des connaissances médicales se renouvellent tous les 5 ans, on comprend que la santé est un secteur extraordinairement évolutif. Donc, pour toujours offrir les meilleurs soins possibles à la population, on se doit d’être en veille sur ces innovations, de se les approprier, et de les implémenter ensuite sur le territoire dans lequel on travaille.
Et puis, la dernière raison, c’est que la santé, c’est une économie, avec des répercussions sur l’emploi et les performances des entreprises locales. La santé d’une population a, de fait, une dimension éminemment locale.
D’ailleurs, en quelques jours depuis votre prise de fonction, y a-t-il déjà un exemple d’initiative locale qui vous a interpellé ?
J’ai été très favorablement impressionné par l’extrahospitalier, l’ensemble des solutions qui ont été mises en œuvre par l’hôpital psychiatrique spécialisé en santé mentale, et notamment le SAS-EPIC, le service d’accompagnement et de soins d’urgence psychiatrique.
Conçu pour répondre aux urgences psychiatriques sur l’île, c’est la première unité mobile de soins psychiatriques d’urgence en France ! C’est une initiative que je souhaite encourager parce que je pense qu’elle peut servir de modèle à d’autres régions.
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Depuis 2016, vous étiez directeur du centre hospitalier Simone Veil de Cannes, dans quel état d’esprit abordez-vous vos nouvelles missions en tant que directeur général de l’ARS Martinique ?
(sourire) Vous avez raison de le souligner, c’est ma première expérience à la fois comme directeur général d’agence régionale de santé et sur un territoire d’Outre-mer. J’entame cette mission pour le territoire avec détermination, une écoute attentive et beaucoup d’humilité. La Martinique est un territoire riche en diversité et en défis uniques, et je suis honoré de pouvoir contribuer à l’amélioration de la santé publique ici.
Je le fais avec un état d’esprit résolument tourné vers la collaboration et l’innovation, car je suis convaincu, que c’est en travaillant avec les professionnels de santé, les collectivités locales et les citoyens que nous pourrons trouver des solutions durables et adaptées aux besoins de chacun. Je suis également très motivé par l’idée de renforcer l’accès aux soins pour tous, en particulier dans les zones les plus isolées.
Vous avez pris vos fonctions le 24 février, avez-vous bénéficié de la conciergerie Rimed qui facilite l’installation des professionnels de santé et de leur famille ? Qu’en avez-vous pensé ?
(sourire) Absolument ! Après ma nomination le 29 janvier, j’avais une quinzaine de jours pour me projeter matériellement et physiquement sur l’île et j’ai eu recours moi aussi à la conciergerie Rimed. J’ai ainsi testé ce dispositif qui est remarquable, bien au-delà du directeur général qui est un utilisateur très ponctuel, mais pour l’ensemble des professionnels de santé arrivant sur le territoire.
Les représentantes de la conciergerie sont pleines d’enthousiasme et d’envie de bien faire, le service fonctionne et réussit à apporter des réponses rapides, pour identifier un logement transitoire et pour un accompagnement global lié à un déménagement. C’est un dispositif d’avenir que nous nous emploierons à consolider. Il est difficile de faire la médecine sans médecin… l’attractivité médicale est une question majeure pour tous les territoires.
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Votre expérience en tant que directeur d’hôpital va-t-elle vous servir dans vos nouvelles missions ?
On est vraiment dans un continuum, mais à une autre échelle. Quand j’étais directeur d’hôpital, j’étais le représentant d’un opérateur de santé qui doit viser à délivrer les meilleurs soins possibles au meilleur coût possible. En Martinique, ma vision est plus large, puisque j’interviens dans le champ global de la santé publique et j’entends respecter les compétences respectives de chacun des acteurs.
« Construire des solutions locales, c’est répondre aux besoins spécifiques de la population martiniquaise en intégrant ses réalités démographiques, géographiques et culturelles. »
Votre rôle sera en quelque sorte celui d’un animateur d’un grand réseau d’entités au service de la santé ?
En quelque sorte, oui. Je suis vraiment passionné par l’opérationnel, c’est-à-dire par le fait qu’il faut bien penser en stratégie, et qu’il faut surtout bien agir. C’est-à-dire, en conformité avec un objectif, un budget et un calendrier. Le passage au concret, c’est ce que j’ai appris et ce que j’ai aimé à l’hôpital, et c’est ce que j’espère évidemment impulser en équipe, et avec toutes les parties prenantes de la santé en Martinique.
Mars bleu
L’enjeu local du dépistage
Face au cancer colorectal, troisième cause de mortalité par cancer en Martinique, le principal enjeu demeure la prévention, le « aller vers ». Plus tôt est détectée la maladie, plus de chances a le patient de bénéficier d’un traitement efficace et moins invasif. Le dépistage est recommandé dès 50 ans, puis tous les deux ans. Le test se réalise chez soi à l’aide d’un kit de dépistage et depuis 2022, il est accessible en ligne et auprès des pharmaciens.
Aujourd’hui, avec près de 200 nouveaux cas par an, le taux de dépistage se situe entre 22 et 29 %. « On peut faire mieux », assure Yves Servant, « à condition de le faire ensemble ». Il rappelle aussi que la santé est un fait culturel, « la santé c’est un rapport au corps, c’est un rapport au temps, c’est un rapport à sa finitude », le travail doit être mené de concert par l’ensemble des acteurs locaux libéraux, hospitaliers, associatifs « pour parler vrai, en résonance avec nos concitoyens et améliorer le dépistage et faire reculer la maladie ». Lorsqu’il est détecté précocement, ce cancer se guérit dans 9 cas sur 10.