8 AMÉNAGEMENTS URBAINS QUI PEUVENT TOUT CHANGER !
Nous avons interrogé 8 acteurs, reconnus pour leurs travaux et leurs missions en matière d’architecture, d’urbanisme et plus largement d'aménagement du territoire. Chacun nous livre “UN” aménagement de nos espaces, à l’échelle d’un bourg, d’un quartier, d’une ville qui pourrait changer la donne. Il sera question de résistance aux aléas climatiques, de sobriété énergétique, de revoir les espaces de vie et de circulation pour s’approprier de nouveaux usages et ainsi améliorer notre cadre de vie.
David Fontcuberta, architecte et fondateur de abité
1. Consacrer 50% de l’espace public aux piétons
par David Fontcuberta, architecte et fondateur de abité
Il s’agit de trouver un nouvel équilibre entre l’espace dédié aux piétons (espace public) et l’espace dédié à la voiture (espace privé). Historiquement, les rues de Fort-de-France, telles que nous les connaissons, ont été dessinées en 1700. Elles n’ont donc pas été conçues pour se déplacer en voiture, elles étaient dédiées aux piétons et aux animaux. Il faut maintenant penser aux véhicules (motos, vélos, trottinettes, voitures) et, bien sûr, aux zones de stationnement. Penser cet équilibre est primordial.
Nous avons réalisé une étude, il y a quelque temps : sur 1 km2, 80% de l’espace est dédié à la voiture contre 20% seulement pour les piétons et les monuments, comme les escaliers devant la cathédrale. Dans ce même périmètre, on ne compte que 4 arbres en mesure de donner de l’ombre. C’est très peu. D’ailleurs, ce manque de végétation en milieu urbain, boulevard du général de Gaulle ou place Romero, par exemple, n’est pas étranger au problème de montée des eaux dans le centre-ville. Les sols sont imperméabilisés par le béton, alors que la plupart des espaces verts sont en hauteur, au lieu d’être au niveau des piétons.
Il existe dans la Caraïbe un usage de l’espace public fortement ancré culturellement : profiter de la fraîcheur du soir. Il n’est pas rare de voir les riverains installer des chaises sur le trottoir pour discuter ou faire la fête. C’est un espace collectif et convivial, qu’on a peut-être perdu dans le centre-ville foyalais, même si les kiosques sur la Savane ramènent cette animation. Il manque toutefois encore un peu d’investissement pour aménager la promenade sur le malecon, et plus largement dans tout le centre-ville, d’où la nécessité de concevoir une architecture bioclimatique et un mobilier urbain tactique, non conventionnel, écologique et solidaire. Autrement dit, pas un simple banc mais une plateforme sur laquelle on peut faire des activités. En journée, il faut également créer des espaces à l’ombre pour permettre aux piétons de se reposer, entre deux courses, sans qu’ils aient à consommer. Nous, Caribéens, concevons l’espace public comme un espace social, un espace de convivialité et de partage, ouvert à tous. »
Redistribution de l’espace public en plateforme unique
- 30% de l’espace pour les véhicules motorisés
Favoriser la circulation de l’air pour éviter le phénomène d’îlot de chaleur urbain
- 50% de l’espace réservé aux piétons : l’espace pour les piétons doit se diviser en deux pour avoir des espaces dédiés de chaque côté de la chaussée
ZOOM SUR « FORT-DE-FRANCE 2050 »
Fort-de-France 2050, c’est la réalisation d’une utopie. Invités par abité, quatre étudiants en architecture martiniquaises ont imaginé, à l’aide d’outils numériques et d’intelligence artificielle, une capitale métamorphosée. L’exposition est une sorte de capsule temporelle qui transporte le visiteur dans un futur plus possible que fictif.
Vincent Pons, paysagiste et co-fondateur de VMPM
2. Faire baisser la température de l’air de 3°C
par Vincent Pons, paysagiste et co-fondateur de VMPM
Quels sont les bénéfices à créer des espaces verts en ville ?
Ce qui est essentiel sous nos latitudes, c’est l’ombre ; particulièrement dans les centres-villes qui sont bétonnés. Or, le béton absorbe la chaleur pour la restituer progressivement ; or créer de l’ombre permet de générer un écart de température significatif. Créer des poches de verdure rafraîchit considérablement les centres urbains.
Quelles sont les arbres les plus adaptés en milieu urbain ?
L’idée est de créer une canopée végétale, donc les arbres qui s’étalent à l’horizontale sont à privilégier. C’est le cas des arbres sur tige qui se caractérisent par leur tronc fin et leur feuillage touffu à la cîme, comme l’amandier à petites feuilles. Ce sont des arbres qui fournissent de l’ombre assez vite lorsqu’ils atteignent 2 mètres. Le pongame est également un excellent arbre d’ombrage, il supporte bien le plein soleil et la sécheresse et sa croissance est rapide. En 24 mois, sa taille est multipliée par 6, on passe d’un houppier de 1 mètre à un houppier pouvant atteindre 6 à 7 mètres. Les palmiers créent aussi de merveilleux plafonds de verdure. De plus, lorsqu’ils sont bien exposés par rapport au soleil (sud, sud-est), les ombres portées qui sont projetées aux sols apportent une petite touche esthétique supplémentaire. Toutefois, planter des arbres ne suffit pas, il s’agit aussi de les entretenir ; et cela commence par les tailler correctement. Une vraie prise de conscience doit s’opérer au niveau des communes. Je déplore qu’on les coupe trop courts, cela traduit un réel manque de considération pour les arbres. En cela les mentalités et pratiques doivent évoluer.
Quelle est votre conception idéale d’un espace vert en milieu urbain ?
Elle tient en trois mots : un parc ombragé, aménagé et sûr. Pouvoir s’asseoir à l’ombre pour profiter de la fraîcheur des arbres sonne comme une évidence. Il y a donc toute une réflexion à mener autour du mobilier urbain : un mobilier durable et fixe. Le bois s’abîme très vite, la pierre constitue une excellente alternative. Dans cet espace vert, je privilégie un sol perméable, en pelouse ou en gravier stabilisé, car les racines des arbres soulèvent souvent les dalles de béton. Pour créer un lieu sûr, je mise sur un bon éclairage public le soir, dissimulé ou en hauteur, pour éviter les dégradations ; et je suis très vigilant quant à la hauteur des plantes. L’usager ne doit pas se demander ce qui se cache derrière. L’idée est d’éviter les recoins en proscrivant les massifs et les bosquets pour créer un espace ouvert et dégagé.
Un tel aménagement est-il gourmand en eau ?
Il est vrai qu’on pense souvent à l’économie d’eau, mais l’arrosage automatique, goutte à goutte, permet non seulement d’arroser à bon escient mais aussi régulièrement. L’avantage est double : il n’y a pas de gaspillage de la ressource et la croissance des plantes est assurée. Si l’on ajoute une sonde pluviométrique à ce système d’arrosage, on s’assure que le système ne s’enclenche pas s’il a plu. Comme pour l’éclairage, un système d’arrosage automatique enterré le protège d’éventuelles dégradations, c’est l’idéal dans les espaces publics.
Expérimentation : 10,3 °C UTCI
Durant la journée, c’est l’effet de refroidissement moyen d’un arbre dans un parc de Hong-Kong (Kong et al., 2017)
L’indice de confort (UTCI ou universal thermal comfort index) permet d’évaluer les liens entre le bien-être d’un individu et son environnement. Différents paramètres météorologiques sont pris en compte : la température de l’air, l’humidité de l’air ambiant, le vent et le rayonnement ; toutefois les températures des surfaces environnantes jouent également un rôle important. Le confort thermique est mesuré en combinant ces paramètres pour définir un indicateur de « température équivalente » au ressenti thermique.
Jérémy Fernandez-Bilbao, vice-président de la Maison de l’Architecture de Guyane
3. Appliquer la règle des 3-30-300
par Jérémy Fernandez-Bilbao, vice-président de la Maison de l’Architecture de Guyane
Notre ambition est de sans cesse se questionner sur les espaces publics disponibles dans la ville, des lieux intergénérationnels, où les habitants peuvent se retrouver, échanger, discuter. C’est un travail que nous menons particulièrement à l’échelle des quartiers, où nous mettons à l’épreuve la règle des 3-30-300. Ce principe suppose que chaque résident devrait voir 3 arbres, se déplacer dans des quartiers avec 30% de couvert végétal et vivre à moins de 300 mètres d’un espace vert. Cela suppose donc, parallèlement, de mener une réflexion sur la mobilité des résidents pour faciliter l’accès à pied à ces espaces verts. Créer une vie de quartier dans chaque commune suppose un travail minutieux pour établir une vue d’ensemble (réseaux de transport en commun, pôle d’attractivité…) permettant de répondre à des besoins précis. L’une de nos démarches consiste d’ailleurs à interroger les habitants de ces quartiers pour co-construire le projet avec eux afin qu’ils se l’approprient. Plutôt que d’imposer un aménagement, nous mettons l’usager au cœur de la décision.
Depuis 2 ans, nous avons initié un projet de jardin partagé dans un lotissement d’un bailleur social. Heureux hasard, les résidents s’étaient regroupé en association car ils portaient un projet similaire. Nous avons donc organisé des ateliers de concertation, puis deux jardins sont nés. Le 1er est un jardin clos avec des bacs et des arbres fruitiers, le 2e est un jardin de type jardin créole, composé de plantes utiles et médicinales. C’est devenu un lieu d’échange et de socialisation. Nous avons longuement réfléchi aux plantes qui seraient plantées dans ce jardin et avons observé que certains habitants s’étaient déjà approprié l’espace devant chez eux pour y cultiver des plantes typiques de leur communauté : amérindienne, noire-marron, créole haïtienne ou guyanaise. Aujourd’hui le jardin partagé est à l’image des résidents. Nous avons le projet de développer ce concept pour le dupliquer dans d’autres résidences avant d’éditer un guide de bonnes pratiques pour l’adapter à chaque site. »
L’action de la Maison de l’Architecture de la Guyane vise à développer des regards différents sur la ville, les territoires et les paysages des Outre-Mer et sur leurs mutations pour encourager les populations à créer un nouvel espace public où la ville et ses services deviennent des lieux de citoyenneté urbaine.
Sylvie Adelaïde, présidente de l’association Atelier Odyssée et directrice de cabinet de la ville de Pointe-à-Pitre
4. Aménager des promenades vertes et bleues
par Sylvie Adelaïde, Membre fondateur de l’Atelier ODYSSÉE, architecte DPLG, urbaniste OPQU
Si je devais créer un aménagement qui pourrait transformer durablement nos centres-villes, j’opterais pour la promenade verte et bleue : on touche là à la création d’une véritable colonne vertébrale structurante pour nos villes, en connexion avec des circuits de déambulation et d’autres projets portés par des institutions privées ou des opérateurs publics. On peut également imaginer de mettre en réseau l’ensemble des jardins de la ville, selon un axe paysager privilégié. Cette promenade est, par conséquent, l’occasion de multiplier la création d’espaces de fraîcheur afin d’encourager les usagers à se déplacer à pied plutôt qu’en voiture ou, en tout cas, à préférer des solutions de mobilité douce.
Imaginer une promenade bleue c’est tenir compte du littoral et se poser la question de la gestion de l’eau pluviale par la création d’aménagements adaptés : entre autres, bassins de rétention ou caniveaux paysagers. L’eau doit mieux circuler car, à l’heure actuelle, Pointe-à-Pitre la subit, la ville est sujette aux inondations, à l’érosion et à l’augmentation du niveau de la mer. Si l’eau est canalisée et dévoyée dans des circuits dédiés, cela devient autre chose. Ce peut être une solution impulsée par la ville ou par les citoyens dans le but d’améliorer notre environnement et de s’adapter aux changements climatiques. »
Sandrine Hilderal, géographe-urbaniste et docteure en aménagement de l’espace et urbanisme
5. Réinvestir les espaces intermédiaires
par Sandrine Hilderal, géographe-urbaniste et docteure en aménagement de l’espace et urbanisme
Dans nos centres-villes et dans nos centres-bourgs, il existe une variété d’espaces à investir :
il s’agit des espaces intermédiaires (entre le privé et le public) ou des espaces interstitiels (dents creuses, friches…y compris les allées dans les lotissements). Ce sont généralement des espaces délaissés par les divers acteurs de l’aménagement urbain et les citoyens eux-mêmes. Chacun de ces espaces pourraient donc être assignés à un usage ainsi qu’à une fonction, et on peut tout imaginer :
des jardins partagés, des lieux d’expression artistique, des aires de jeux pour les enfants, des zones de divertissement ou d’exposition en plein air…
Ces vides ont un réel potentiel de réinvestissement pour nos territoires insulaires, exigus et qui ne sont pas extensibles à souhait. De fait, ils peuvent être concernés par de multiples enjeux dans le processus de production, de fabrication et de gestion de ces lieux (en-)commun(s).
Par ailleurs, nous vivons beaucoup dehors : c’est culturel. Or, nous construisons de plus en plus d’immeubles dont les normes ne correspondent ni à nos pratiques ni à notre mode de vie. Les manières d’habiter en Martinique ont évolué, le bâti aussi et certaines formes de sociabilité se sont perdues. Autrefois, il n’était pas rare que les riverains se réunissent dans les Lakous, hauts lieux de socialisation et de partage.
De nos jours, je constate que le besoin de se retrouver pour échanger demeure, en dépit de l’utilisation massive des réseaux sociaux et c’est notamment le cas chez les jeunes gens. Alors, pourquoi ne pas innover et penser un Lakou « moderne » qui nous ressemble ; en incluant et en ouvrant la discussion avec les habitants, et en co-construisant ensemble des projets par une approche d’expérimentation voire d’exemplification d’envergure caribéenne. Cela supposerait un méticuleux travail, en amont, afin de repérer et de répertorier ces espaces intermédiaires et interstitiels. Il faudrait mettre en scène ces lieux, voire penser un itinéraire entre eux, comme une sorte de coulée verte et ne pas sous-estimer le champ des possibles en matière de patrimonialisation, puisque ces espaces témoins pourraient être l’occasion – dans le même temps – de suturer l’espace urbain et, ainsi, de ramener une meilleure cohésion spatiale pour une plus forte cohésion sociale. »
ZOOM SUR Pli bel lari
En 2014, l’atelier Odyssée lance l’opération Pli Bel Lari, 10 ans plus tard, l’association a mené 70 chantiers à Pointe-à-Pitre, qui se déclinent en 3 volets :
La valorisation des bâtiments par la rénovation des façades
Notamment les kaz et maisons créoles qui ont un intérêt patrimonial. Par la suite, les propriétaires ont pris le relais en retapant spontanément leur maison. Cette émulation a renforcé les liens entre voisins.
L’animation culturelle
C’est la mission historique de l’association qui organise des manifestations (rencontres thématiques, projections, expositions) ainsi que des visites des jardins et des quartiers. L’art dans la ville est une solution efficace pour améliorer le cadre de vie et l’esthétique de la ville en participant ainsi à la redynamisation des centres urbains.
La transformation des espaces délaissés en jardins urbains
7 jardins thématiques ont été aménagés, l’art y occupe une place importante : sculptures, fresques de street art, bibliofrigos. Ces jardins sont à la fois des lieux de fraîcheur, de valorisation de la biodiversité, d’échange et de convivialité, à l’origine d’un apaisement social dans les quartiers où ils ont été implantés.
Ces actions ont été dupliquées dans d’autres quartiers de Pointe-à-Pitre et dépassent mêmes les frontières de la Guadeloupe puisque l’association a été sollicitée au Cameroun et au Bénin. L’opération Pli Bel Lari a été lauréate du concours « Green Solutions Awards 2022/2023 » remportant le prix du public dans la rubrique « Quartier » et a été présentée, dans ce cadre, à Dubaï lors de la COP 28.
Axel Grava, animateur du réseau d’urbanisme durable de la Guadeloupe, CAUE de la Guadeloupe
6. Appliquer les principes de l’urbanisme circulaire
par Axel Grava, animateur du réseau d’urbanisme durable de la Guadeloupe, CAUE de la Gudeloupe
L’urbanisme circulaire est un concept qui vise à limiter l’étalement urbain en favorisant le recyclage des espaces. Le bénéfice est double : on préserve les zones naturelles et agricoles et on s’attache à donner une seconde vie à des sites délaissés, telles que les friches urbaines ou industrielles. C’est un cercle vertueux puisqu’il s’agit de concevoir, réorganiser et reconstruire la ville en permanence. Adopter les principes de l’urbanisme circulaire c’est aussi s’engager dans la lutte contre l’artificialisations des sols, la loi « Climat et résilience » a d’ailleurs posé un objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) à l’horizon 2050. L’une des conséquences de l’artificialisation des sols est, entre autres, l’amplification des risques d’inondation auxquels nos territoires sont régulièrement confrontés. C’est la raison pour laquelle le CAUE s’attache également à promouvoir le concept de ville poreuse, mode d’aménager qui facilite l’absorption des flux hydriques et limite ainsi le ruissellement de l’eau sur le bitume et les conséquences induites tant en termes de risques que de pollution des aquifères. »
Extrait du consortium OMBREE*
En matière de logement, les usages (éducation, alimentation, hygiène…) doivent être replacés au centre des référentiels, chaque territoire disposant de sa propre culture et donc de sa façon d’habiter. Il est important d’acculturer les maîtres d’ouvrage à la compréhension des milieux et des modes de vie sur chaque territoire pour construire des logements que les habitants s’approprieront, la qualité d’usage jouant un rôle important dans la pérennité de l’ouvrage.
*programme inter Outre-Mer pour des Bâtiments Résilients et Économes en Énergie
Zoom sur LE LIVRE BLANC DE LA CONSTRUCTION DURABLE
Lancées en juin 2023, les Assises de la construction durable en Outre-mer se sont achevées en février 2024 lors de la restitution publique des ateliers. Les propositions qui ont été présentées à cette occasion ont servi de base à la rédaction d’un livre blanc dont les intentions sont à la fois de répertorier les bonnes pratiques et techniques vernaculaires qui concourent à rendre le bâti plus adapté à nos territoires et plus résilient, de tracer une feuille de route pour adapter les référentiels techniques existants aux réalités ultramarines et de mettre en commun les expertises.
Des propositions autour de 5 axes :
• Gouvernance et pérennité des actions ;
• Adaptation et production de référentiels techniques vis-à-vis des contraintes environnementales, des matériaux disponibles localement et de la vulnérabilité des constructions ;
• Adaptation et production de référentiels vis-à-vis des usages et spécificités culturelles ;
• Contributions scientifiques locales à l’adaptation et production de référentiels ;
• Capitalisation sur les savoir-faire et les produits issus de zones géographiques proches.
Emmanuel Lancrerot, urbaniste OPQU,sociologue urbain à l’agence Tropisme et membre de l’association des urbanistes de Guadeloupe
7. Requalifier l’espace public
par Emmanuel Lancrerot, urbaniste OPQU, sociologue urbain à l’agence Tropisme et membre de l’association des urbanistes de Guadeloupe
Plusieurs facteurs jouent aujourd’hui un rôle prépondérant dans la façon dont nous devons appréhender l’aménagement des centres-villes qui, pour la plupart, sont situés sur le littoral. Les conséquences du réchauffement climatique, comme l’élévation du niveau de la mer ou les inondations, vont radicalement transformer notre façon de vivre en ville. L’AFD a, par exemple, lancé des études pour relocaliser les groupes scolaires de Sainte-Anne (Guadeloupe). Il est indispensable de considérer ces nouveaux phénomènes, y compris dans les espaces publics, en commençant par la renaturation des sols. La ville rêvée est une expression fréquemment utilisée de nos jours,
mais loin de désigner une ville utopique, elle définit une ville résiliente, c’est-à-dire en capacité de subir ces changements et de se régénérer rapidement.
Transformer les usages en créant de l’activité permet aussi de ramener les populations en ville, à l’image du boulevard maritime au Moule qui est devenu un lieu de promenade, de détente et de sport ou du boulevard de Lauricisque, à Pointe-à-Pitre, qui contraste de façon saisissante avec la place de la Victoire qui, elle, a été désertée. Ces aménagements peuvent être davantage développés en intégrant des pistes cyclables par exemple. La problématique de la mobilité est d’ailleurs centrale. Nous sommes très attachés à la voiture individuelle, mais offrir d’autres choix pour profiter de la ville serait bénéfique : des bus urbains à fréquence régulière, en service plus tôt et plus tard, y compris le week-end, mais aussi des liaisons maritimes, vaste chantier qui doit être réinvesti. Le syndicat mixte des transports et la Région y travaillent actuellement ; les déplacements seront bouleversés. C’est à la fois un moyen de réaménager la ville, en diversifiant l’offre dans l’espace public qui ne peut être que paysagère, et de favoriser l’inclusion en touchant un public plus large qu’actuellement, les personnes âgées, les femmes ou les personnes à mobilité réduite par exemple.
Deux exemples de requalification urbaine me semblent réussis : la Savane, à Fort-de-France, avec sa promenade, son offre de restauration, la plage de la Française qui a été réinvestie, entraînant ainsi une baisse de la délinquance. L’autre, le quartier du Mucem à Marseille. Un pôle d’attractivité s’est créé autour du musée au point de changer le rapport au littoral. Aujourd’hui, Pointe-à-Pitre cherche aussi à renouer avec son littoral. Le Mémorial ACte pourrait en être le point de départ en créant des itinéraires entre les différents espaces : la place de la Victoire, Fouillole, la Marina, Bas du Fort jusqu’à l’îlet à Cochons. Il s’agira de rendre l’espace public à la population en leur assurant des déplacements sécurisés, de travailler à la protection et à la valorisation de la biodiversité et d’offrir différents services pour que le maximum d’usages puisse s’y développer. »
Kristof Denise, directeur adjoint de l’Agence D’Urbanisme et d’Aménagement de Martinique (ADDUAM)
8. Penser la ville à hauteur d’enfants
par Kristof Denise, directeur adjoint de l’ADDUAM
Parler d’aménagement du territoire c’est mettre les habitants au centre de la réflexion. Quels sont les usages ? Quels sont les besoins ? Quels sont les devenirs possibles de l’espace public ? Comment créer un attachement à la ville ? Kristof Denise et Maëlle Durante se sont intéressés à ces questions, à hauteur d’enfants.
Comment valoriser la place de l’enfant dans l’espace public ?
Kristof Denise : Il serait difficile de parler d’un aménagement en particulier, c’est plutôt la conjonction de plusieurs opérations. Quand on évoque la place de l’enfant dans l’espace public, on pense d’emblée à l’école comme première interface entre l’enfant et la ville. Toutefois, si on élargit la perspective et qu’on s’interroge sur les déplacements de et vers l’école, cela soulève des questions d’accessibilité, de sécurité et de « marchabilité ». Et vous voyez comment la question de la place de l’enfant dans l’espace public ouvre plusieurs champs de réflexion : comment repenser la place du piéton, celle de la nature, celle de l’art également ? Ce qui est certain, c’est qu’en adoptant l’enfant comme porte d’entrée, on peut redonner à l’espace public son rôle premier d’invitation à la rencontre, à la balade, à la respiration ; autant d’usages qui, finalement, sont recherchés à tout âge.
Concrètement quels aménagements peuvent contribuer à l’émergence de ce territoire des enfants ?
Maëlle Durante : On peut tout imaginer, en commençant par un chemin piétons pour se rendre à l’école, sécurisé et ombragé, qui encouragerait la marche à pied, donc l’activité physique. Le parcours vers l’école pourrait ainsi devenir un espace de rencontres et de jeux. Il y a aussi un réel intérêt à transformer les abords des écoles afin de favoriser l’appropriation de l’espace par les enfants et leurs parents en appliquant, par exemple, le concept de rue partagée, où le piéton est prioritaire. Cela passe aussi par la création de fresques murales et la revégétalisation. Des actions peuvent aussi être menées au sein des établissement scolaires : désimperméabiliser les sols, ombrer les cours d’écoles par différents dispositifs (végétation ou structures d’ombrage), créer des jardins participatifs. Autant d’aménagements qui concourent à améliorer le cadre de vie des enfants et leur développement dans un espace qui offre une plus grande richesse d’interactions.
*ADDUAM : Agence de développement durable, d’urbanisme et d’aménagement de Martinique.
“ La ville rêvée est une expression fréquemment utilisée de nos jours, mais loin de désigner une ville utopique, elle définit une ville résiliente. ”