Créer une nouvelle matière à partir de deux déchets, la fibre de verre et un composite thermoformable, c’est l’idée ingénieuse de Franck Ollivier et Loïc Luciani, cogérants de Royal Recy Boat, une société spécialisée dans le recyclage des bateaux.

Par Anne-Claire Pophillat – Photos Nicolas Petit / Hans Lucas

C’est dans les locaux de Royal Recy Boat, à proximité du port autonome de Nouméa, que l’idée a germé, après des mois de réflexion. En témoigne la présence, sur le bureau de Franck Ollivier, cogérant avec son associé Loïc Luciani, de plusieurs petits pots contenant de la fibre de verre à plusieurs stades de son broyage. Brute, affinée, en poudre. Les deux hommes développent une solution de traitement local de la fibre de verre issue de la déconstruction des navires hors d’usage, leur ambition étant « de recycler les bateaux à 100 % ». « On en avait marre de jeter », confie Franck Ollivier. Gérer certains matériaux tels que le bois et le métal est « facile » ; le béton, broyé, est parti à l’endigage, et l’accastillage est remployé. « Nous récupérons tout ce que nous pouvons, cloche, cadran, baromètre… Et nous les vendons dans une casse marine et via un catalogue en ligne. » Reste la fibre de verre, dont « 30 à 40 % des navires échoués sont constitués ». Comment la valoriser ? « Nous avons décidé de l’associer à du thermoformable pour créer une nouvelle matière première secondaire. Nous sommes les premiers à y penser », annonce Franck Ollivier.

Royal Recy Boat dispose actuellement d’un stock de fibre de verre de 90 m3 issu de ses chantiers de déconstruction de bateaux, qui permettrait de fabriquer environ « 150 tonnes de mobilier urbain ».
Royal Recy Boat dispose actuellement d’un stock de fibre de verre de 90 m3 issu de ses chantiers de déconstruction de bateaux, qui permettrait de fabriquer environ « 150 tonnes de mobilier urbain ».

Mobilier urbain et construction

Les sources d’approvisionnement en composite thermoformable sont multiples : tuyaux d’adduction d’eau, gouttières, goulottes électriques, bouchons, gobelets… Et les deux associés espèrent bientôt collecter les bouteilles d’eau du Mont-Dore en polycarbonate. Outre les bateaux, la fibre de verre se trouve dans les bus, engins agricoles, pales d’éoliennes, coffrets électriques, piscines, etc. Autant de gisements potentiels sur le territoire que Royal Recy Boat souhaite, à terme, exploiter.

Dans le but de confectionner le nouveau matériau, les cogérants ont passé des heures à effectuer des tests dans leur dock grâce aux moyens du bord : un blinder et une presse à panini. « Nous avons d’abord broyé la fibre de verre avec différents composites, puis nous les avons mélangés et chauffés dans la presse avant de les malaxer à la main et de les mettre dans des moules pour constituer des échantillons », raconte Franck Ollivier. Ils doivent maintenant être analysés afin de connaître leurs caractéristiques, le composite utilisé influant sur la résistance aux UV, la souplesse ou la dureté. La prochaine étape ? Normer ces matières de façon à ce qu’elles intègrent le Référentiel calédonien de la construction et qu’elles puissent être employées à la place du bois, du plastique ou du métal. « On peut fabriquer des plans de travail, des bancs, des glissières de sécurité, des planches de coffrage, et ainsi arrêter de les importer. En plus, il est possible de rebroyer et de réutiliser tous ces équipements au lieu de les jeter. »

Une usine conteneurisée

Mais pour concrétiser son projet, Royal Recy Boat a besoin de financements. « On attend une aide dans le cadre du dispositif Territoires d’innovation et on compte mener une levée de fonds en vue de faire normer la matière, déposer un brevet et acheter une usine conteneurisée afin de structurer le processus et de constituer une filière. » Les deux entrepreneurs envisagent par ailleurs d’exporter leur système vers d’autres îles, Polynésie française, Fidji. Le concept intéresse au-delà du Pacifique, jusqu’à l’île Maurice. « Des Indiens se sont aussi montrés intéressés et nous ont contactés. » Le gisement disponible est considérable. « Il y aurait 140 millions de plaisanciers dans le monde et plus de 5 000 pales d’éoliennes par an devraient être déconstruites d’ici 2030 en Europe, ce qui fait un volume conséquent. » Franck Ollivier et Loïc Luciani planchent déjà sur une autre invention. Ils auraient trouvé un moyen de revaloriser le polystyrène, également présent dans les bateaux et le bâtiment. De quoi « permettre à la Nouvelle-Calédonie de poursuivre son chemin vers le déploiement de l’économie circulaire ».


Retrouvez cet article dans le hors-série Outre-mer Innovation.