L’objectif d’Intelligence Artificielle des Îles (IAI), application élaborée par Jannaï Tokotoko ? Cadastrer l’ensemble du foncier coutumier de Nouvelle-Calédonie, afin de « mieux le protéger, le valoriser et l’aménager durablement ». Un enjeu majeur pour la population autochtone.

Par Anne-Claire Pophillat – Photo Nicolas Petit / Hans Lucas

Les terres coutumières, qui appartiennent aux Kanak, recouvrent 27 % de la Nouvelle-Calédonie. Ces terrains au statut particulier ne font l’objet d’aucun bornage formel. Intelligence artificielle des Îles (IAI) entend y remédier. Jannaï Tokotoko planche depuis trois ans sur ce cadastre dématérialisé et collaboratif, porté par « la volonté de mettre mon savoir au service de mon pays ». Le programme conçu par le scientifique originaire d’Ouvéa, une des trois îles Loyauté, permet de définir précisément le périmètre d’une surface en utilisant la géolocalisation et des cartes satellites. Pour ce faire, IAI s’appuie sur « la valeur de la tradition orale et des savoirs ancestraux » des communautés, l’idée étant de parvenir à « une gestion foncière plus équitable et inclusive ».

Depuis des mois, l’unique docteur en informatique et science des données du territoire sillonne la Nouvelle- Calédonie pour présenter son application. « Le foncier est au cœur de multiples enjeux sociétaux, historiques, culturels, de gestion des conflits, mais aussi d’opportunités d’aménagement et de développement. » Jannaï Tokotoko est même allé jusqu’à Paris, où il a obtenu, en novembre, le prix d’honneur Innovation Outre-mer.

« Mémoire collective »

La démarche en ligne est « intuitive », assure l’expert. Le propriétaire terrien — individu, famille, clan, tribu — s’inscrit sur la plateforme, sélectionne sa province (l’équivalent d’une région, NDLR), sa commune, puis enregistre sa maison et les limites de sa propriété. Quatre bornages sont proposés : successoral ; culturel, afin d’identifier, par exemple, des zones sacrées ; touristique et économique. « Chaque déclaration devra être validée par les autorités coutumières. » Le fonctionnement d’IAI est éprouvé, entre autres, par Poindimié, une commune du nord de la côte Est. « Il s’agit d’inscrire tous les gens d’un district, Bayes, qui regroupe neuf tribus, afin qu’ils puissent y accéder pendant un ou deux ans, le temps que chacun rentre ses informations. »

Intelligence artificielle des Îles constitue également un outil pour les différents acteurs concernés afin de résoudre des questions complexes ou de potentiels conflits, puisqu’elle intègre un système de médiation. « S’il y a chevauchement et désaccord sur les délimitations, les parties peuvent travailler dessus. » L’ancien étudiant brestois a également enrichi le système de nouvelles fonctionnalités, dont l’ensemble devrait être disponible en août. « Il est possible de rajouter des éléments, comme l’histoire du lieu et son nom en langue », une partie de la « mémoire collective ».

Vitrine pour les investisseurs

Concrètement, grâce à des icônes, les propriétaires qui le souhaitent sont libres d’identifier des zones à intérêt économique, touristique ou culturel, marquant leurs intentions, par exemple, de se lancer dans l’agriculture ou d’installer un commerce. « Cette classification du foncier est une vitrine pour les investisseurs, auxquels s’adresse également la plateforme. Cela leur donne une vision de ce qui est faisable et à quel endroit. Ils peuvent ainsi décider s’ils veulent participer au projet. » Des éléments accessibles aux collectivités, aux institutions, au monde économique. Plus globalement, cela participe à « l’émancipation des Kanak ». Avoir la main sur l’usage de leurs terres rendant possible le fait de « mieux les protéger, les valoriser et les aménager durablement ».

Dans un second temps, IAI est destinée à s’ouvrir à l’international en devenant une interface de programmation. D’autres pays ou communautés confrontés aux mêmes problématiques pourront alors créer leur application à partir de ce modèle. Jannaï Tokotoko pense d’abord aux îles du Pacifique, à l’Australie, au Vanuatu, puis au Brésil et au Canada, toujours dans cette volonté de « protection des droits fonciers des peuples autochtones, aux prises avec des pressions croissantes ».


Retrouvez cet article dans le hors-série Outre-mer Innovation.