Depuis quinze ans, grâce au réseau Outre-Mer Network, qu’il a co-fondé avec Jocelyn Golitin et qu’il préside, Daniel Hierso défend et accompagne les entrepreneurs ultramarins. Sa vision se veut sans concessions mais remplie d’espoir et de solutions.

Propos recueillis par Anne-Laure Labenne – Photo Gaël Rapon

Quelle définition donnez-vous à l’innovation en Outre-mer ?

L’innovation, c’est l’art de s’adapter. Dans les territoires insulaires, il faut, par nature, toujours s’adapter. Par exemple, au changement climatique en première lieu et aux conditions sociales. L’Outre-mer a eu beaucoup de mal, il y a dix ans, à sortir du lot, bien que les Ultramarins aient toujours innové. Pour eux, l’innovation est synonyme de problématiques réelles sur les territoires, qu’il faut résoudre. Ce n’est qu’après le Covid que les investisseurs au national sont revenus sur ce qu’on appelle les must have : la santé, la biodiversité, l’or vert, l’or bleu, la souveraineté alimentaire… Autrement dit, les fondamentaux. La water tech, la tech for good, c’est l’essence même de l’Outre- mer et tous les territoires y sont confrontés depuis un bon moment. L’innovation qui va surgir de “ces essentiels” mettra en musique le savoir-faire traditionnel et local avec les outils du modernisme.

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Quel regard portez-vous sur l’écosystème des start-up ultramarines ?

Il existe un problème de ROI (1) dans l’accompagnement des projets. C’est là un des problèmes inhérents sur les territoires. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas, mais où sont les trois ou quatre pépites qui sortent, par an, des technopoles et incubateurs ? Par territoire, nous devrions avoir ce quota comme c’est le cas dans n’importe quelle région de France. Si certaines start-up ultramarines arrivent à scaler, la plupart ne sont pas prêtes pour aller se confronter dans une compétition régionale ou nationale. Cela dit, il faut saluer le courage des entrepreneurs ultramarins qui continuent à croire en la France et en la francophonie économique alors qu’ils courent avec le poids des charges et le désintérêt total du financement privé au national alors que certains dossiers pourraient lever facilement à l’étranger. Au niveau de l’Hexagone, l’Outre- mer, ce n’est même pas un sujet. De fait, quand on part de ce constat-là, on se rend bien compte du niveau qu’il faut pour avoir un projet bancable.

La question du financement, justement, c’est la clé de voûte pour toutes les start-up aujourd’hui ?

Assurément ! Contrairement à toutes les régions de France, il n’y a pas, en Outre-mer, la puissance financière des family offices locaux qui jouent leur rôle. Comprenez que dans toutes les régions, il y a toujours deux ou trois grosses familles qui mettent leur argent (Mulliez, Danone, par exemple) pour financer les petits écosystèmes qui vont grossir. Malheureusement, nous n’avons pas ça, car, historiquement, les grandes familles s’intéressent peu à l’innovation et n’optimisent pas leur argent sur des secteurs qu’elles ne connaissent pas. Et lorsqu’elles s’y sont intéressées, j’équilibre mon propos, elles sont parfois tombées sur des projets qui n’ont pas tenu leurs promesses, il faut avoir l’honnêteté de le dire. Ce désintérêt est aussi lié à la nature capitalistique de l’Outre-mer qui est plutôt axé sur des sujets d’importation que de développement de l’innovation. C’est pour cela qu’il faut des événements comme “Innovation Outre-mer” pour créer des ponts et devenir des tiers de confiance.

Des entrepreneurs arrivent cependant à tirer leur épingle du jeu…

Oui, fort heureusement et je suis très respectueux de ceux qui créent de la valeur ajoutée en Outre-mer. Ces derniers doivent se faire une place et survivre dans un secteur concurrentiel et fermé, faire face au manque de moyens financiers et aux difficultés inhérentes à l’éloignement. Si l’entrepreneur survit déjà à tout ça, c’est qu’il est solide Ensuite, beaucoup de start-up sont locales mais pensent, dès le départ, business model C’est ce qui fait le particularisme de certains qui percent : les start-up sont toutes petites mais elles ont déjà des enjeux de PME. À la fois, ce sont des grandes forces et des grandes faiblesses. C’est pour cela qu’il faut des écosystèmes qui montent en puissance pour compenser ces facteurs difficiles naturels. On part de loin, mais on ne peut qu’avancer et progresser.

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Quel territoire, s’il fallait n’en retenir qu’un, est moteur en Outre-mer ?

La Réunion est locomotive, même si des problèmes subsistent, et cela s’explique à la fois par une vision politique ancienne, le dynamisme d’acteurs locaux puissants qui ont fait d’elle une championne en matière de mix énergétique ou encore l’une des régions les plus fibrées de France avec des réussites locales puis à l’international (ZEOP, Albioma, Océinde, Cycléa, Datarocks, HUB2). Mais souvenons-nous que la belle histoire du compte Nickel commence en Guadeloupe et que les champions mondiaux de la TV urbaine, Trace TV, ou de la visioconférence cryptée et sécurisée sont originaires de Martinique. Sans oublier la relève hors norme sur l’or vert en Guyane avec des projets comme Solicaz, Bio Stratège ou Guyane spiruline.

Quel serait le domaine le plus favorable à l’innovation dans ces territoires insulaires, dans les années à venir ?

Tous les secteurs vont être touchés. La silver economy, la green tech, l’agritech, la cybertech… Transformer les déchets en valeur ajoutée, les biotechs marines du futur, c’est le credo de demain et, là-dessus, l’Outre-mer a un rôle clé à jouer.

Quelle sera la priorité pour les prochaines années ?

Essayer d’établir un climat de confiance entre les start- up et les investisseurs, d’abord et surtout, locaux. C’est un gros travail de fond à l’image de APICAP, CAOMIE ou Invest in Pacific. Il existe deux cas de figure : soit le travail n’est pas fait, en amont, sur l’accompagnement, le suivi des participations et le résultat sera déceptif ; soit l’accompagnement est travaillé et les résultats seront là, ce qui renforcera la confiance des investisseurs locaux et créera, espérons-le, un effet boule de neige. C’est notre pari. Notre seconde priorité sera de faire venir de plus en plus de fonds d’investissement nationaux voire étrangers. Nous avons commencé, il y a longtemps, avec Impact Partners et, l’an passé, avec les premières family office indiennes, à qui nous avons présenté quelques projets, ou encore EURAZEO et INCO, cette année. C’est notre boulot, aussi, de faire matcher des grands groupes avec des start- up ultramarines. Ces mises en relation peuvent ensuite déboucher sur des financements voire des commandes comme l’a démontré le groupe ACCOR (via Maud Bailly et Steve Moradel). Et enfin, faire émerger la culture de l’investissement dans notre communauté !

(1) Retour sur investissement.

40 millions d’euros levés depuis la création d’Innovation Outre-mer, en 2015. Depuis six ans, Outre-mer Network est installé à Station F, à Paris.

10, c’est le nombre de projets, pour 2024, dans lesquels Outre-mer Network ambitionne d’investir avec le micro-fonds “Tremplin Capital” et la dizaine de fonds partenaires.

12 000 mises en réseau d’entrepreneurs et de salariés. Depuis 15 ans, Daniel Hierso
et son équipe ont accompagné toute une génération vers la culture entrepreneuriale.

1 500 entreprises formées grâce au programme “Les Jeudis de la Stratégie”, avec plus de 6 300 emplois pérennisés.


Retrouvez cet article dans le hors-série Outre-mer Innovation.